Laylow
.RAW-Z
Les rayons des phares jaunes percent la vapeur alors que le bras mécanique pousse les curseurs à fond. La navette fuselée comme une BMW E30 atterrit au milieu de la clairière. Plaisance du Touch – Paris via la porte de Tannhäuser. En posant le pied au sol, Laylow laisse s’échapper une complainte débridée. Pas de trêve envisagée à l’occasion de ce .Raw-Z, mais les câbles se dénudent : sa mélancolie rageuse est plus condensée que jamais, et s’égrène au long d’un 10 titres dense et cohérent, dont l’ambiance est largement concoctée par les productions de Dioscures.
Depuis 2016, Laylow se livre projet après projet à une entreprise de distillation. De Mercy (2016) à .Raw (2018) en passant par Digitalova (2017), sa musique se concentre autour d’une même recette : une déprime qui s’incarne avec passion, à grands coups de basses suintantes écorchées par des synthés lancinants, une interprétation sincère mais tout en démesure, comme un long cri modulé par le vocoder. D’année en année, la synthèse opère avec de plus en plus d’efficacité. Une progression constante, dont .Raw marque une étape importante, en parvenant à une forme d’efficacité inédite. La méthode trouvée, .Raw-Z vient l’approfondir et en augmenter la portée, comme une prothèse sur un corps blessé, un saut dans le futur plus qu’une mise à jour.
Ici, le chant résonne dans une cage en verre. .Raw-Z est un laboratoire, où Laylow assemble les pièces de sa propre machine, en jouant à la fois le Dr Frankenstein et sa créature. Au lieu des boulons, un kit 70 alu, un enchevêtrement de câbles et des durites qui gouttent une souffrance en acier trempé, le tout monté sur un corps en chair véritable et circuits imprimés. C’est le sens du “Z” accolé au titre : le projet, comme son auteur, est hybride. Au corps estropié s’ajoute un ensemble de modifications. Là où un certain idéal technophile rêve de pallier les limites de la condition humaine grâce aux technologies, les plugins de Laylow, au contraire, révèlent ses failles et les subliment plutôt que de les supprimer. C’est le paradoxe de .Raw-Z : les couches d’artifices qui recouvrent l’artiste et sa voix conduisent, finalement, à plus de nudité. L’augmentation se fait sous contrôle, et les transformations ne servent que l’expression d’émotions brutes et bien vives. La rancoeur, la souffrance sont usinées avec plus de finesse que jamais. Si une forme de folie est assumée par Laylow, c’est une folie relativement maîtrisée, malgré les bugs disséminés ça et là.
Le projet dans son ensemble fait d’ailleurs preuve d’une forme d’économie bienvenue. 10 titres, dont plusieurs morceaux courts (“Hello”, “Maladresse”, “Vent de l’est”), et une recherche constante d’efficacité, portée notamment par une certaine science du refrain et de la mélodie. Laylow n’a pas besoin d’en déverser des tonnes pour exprimer son mal être, et chaque larme est chargée de sens. Comme à l’époque des écrans de veille, une série d’images (dont beaucoup sont récurrentes depuis les premiers morceaux) construit un univers cohérent : le fond du bus 67, les playgrounds, la clairière, la villa sur la côte. Enfin, deux featurings seulement : Wit., l’acolyte de longue date et Madd, pour une deuxième collaboration franco-marocaine après le très bon “Money Call” sur le projet Naar.
Si, dans .Raw-Z, Laylow se décrit parfois comme une sorte de monstre (“Pourquoi ils m’té-ma comme un Minotaure ?”), c’est d’un monstre parfaitement humain dont il s’agit, contrairement à ce que l’esthétique transhumaniste suggère. Le “prince de sang mêlé” “blond couleur ébène”, revient régulièrement sur sa double origine franco-ivoirienne, dont il semble tirer fierté et souffrance. “On connaît les termes mais ils rédigent les contrats, baby, c’est toujours nous contre eux / On affranchit pas un négro en lui payant des colliers, des montres.” En creux, la figure de la mère, qui irrigue la veine nostalgique de sons comme “Swish”. Alors, Laylow tourne en rond dans la véranda de son jardin d’hiver, et contemple un paysage désolé, un crépuscule couleur KTM. “Maman va sûrement s’inquiéter, la cigale a chanté tout l’été.” À l’extérieur, une pluie qui explose en longues notes vibrantes sur les façades en métal. Au loin, le mirage persistant d’une villa sur la côte. L’occasion d’exprimer avec lucidité une rancoeur bien digérée, diffuse mais bel et bien présente. Les bourreaux ont la forme vague des femmes qui l’ont déçu, par exemple sur “Vent de l’est” ou des jaloux sur “Bruit de couloir”. “Et même si ça sent bon, j’suis toujours là dans l’ombre à répéter qu’j’suis l’homme de l’année.”
L’esthétique “internet”, présente dans de nombreux visuels, n’est pas vraiment novatrice. Mais elle est l’occasion pour Laylow de décrire ses peines en les baignant dans la lumière froide des écrans. Les démons s’affichent alors en mauvaise résolution, et lorsque la machine se noie dans les messages d’erreurs, les drogues sont nécessaires. Les unes pour prendre conscience, les autres pour oublier, le temps pour les yeux de s’ouvrir un court instant puis de se refermer. “Le premier pilon c’était pour voir, le deuxième c’était pour tout voir. […] Et j’pourrais jamais m’endormir yeah, si j’ai pas tous mes psychotiques yeah.”
Ce sont donc des thèmes connus qui sont réinvestis dans cet opus court, mais avec une maîtrise toute nouvelle et une efficacité constante. Laylow a trouvé la formule pour nous plonger dans ses humeurs et nous contaminer par ses désillusions, et l’énergie féroce qu’elles lui insufflent.
Superbe chronique, continue