PyrrhvsMani & Mambo
Nuit noire, cachets bleus
Il se fait appeler Jeune Audiard sur ses réseaux, sa gouaille est celle des titis parisiens, ses titres de morceaux et projets auraient pu être empruntés par n’importe quel réalisateur français des années 1960. Et si PyrrhvsMani avait vécu à cette époque-là, il aurait sûrement été un grand dialoguiste. Son rap paraît assez « traditionnel » dans la forme et pourtant, il est aussi efficace que la Winchester de Josh Randall lorsqu’il est décortiqué.
L’insomnie est sa muse. La nuit, un refuge envahi par « la vermine, les putes et les pourris ». Deux éléments auxquels PyrrhvsMani ne se détache pas d’un poil pour créer la cohérence de son univers. Un storytelling qui débute début avril 2023 dans « Emmuré dans la nuit », introduction de son premier EP, Hic Svnt Dracones. C’est John Murdoch, personnage principal de Dark City (film sorti en 1998), qui ouvre le bal, à la recherche de sa ville d’origine : Shell Beach. Son seul espoir pour fuir la nuit éternelle du film. Pyrrhvs s’approprie cette quête en faisant de Shell Beach la lumière au bout d’un tunnel où les insomniaques sous Prozac se transforment soit en truands soit en zombies. Un monde où le bleu, qui peut faire référence à la vérité et installe une ambiance nocturne, prime sur les autres couleurs à la manière de Michael Mann dans ses films.
Suite à Hic Svnt Dracones, PyrrhvsMani affirme un peu plus son image en arrivant à immerger son public dans une ambiance particulière : Heure bleue, café noir pour son deuxième EP ; Nuit noire, cachets bleus sorti le 4 octobre 2024. Ce dernier, plus abouti que ses pairs par sa cohérence musicale et narrative, donne l’impression d’écouter une bande originale de film. De l’introduction aux fins scénarisées de certains morceaux (« Zoopiclone 7.5mg »), des incrustations d’entrevues de Michel Audiard à certaines notes de pianos et cuivres, le cinéma va de pair avec le rap de PyrrhvsMani comme la vie et la mort.
Cette influence cinématographique n’empêche pas le rappeur issu de Paris Est de cracher le feu par une élocution bien articulée ; des images inédites (« Charles Bukowski sous stéroïdes ») ; des comparaisons à l’ancienne comme l’ORTF (« Grande gueule, Léon Zitrone ») ; des jeux de mots improbables, une manière hybride de métaphoriser (« Fusil à lunettes mais la vue c’est 10/10 ») et un flow qui s’intègre parfaitement à la musique de Mambo GTR. Tantôt sinistres et granuleuses (« Vermine nuit »), tantôt aériennes et somptueuses (« Blue magic radio » feat. HEMO & Oks rouge), les productions de Mambo s’adaptent à chaque thème abordé par Pyrrhvs. Lorsqu’il s’agit d’énumérer des marques d’outils propices à faire disparaître ses ennemis, les drums sont sèches et percutantes agrémentées d’un petit filtre vintage (« Glauques et chargés » feat. Ice Crimi). Et lorsque les glauques glocks font la part belle aux sentiments camouflés des hommes et que le jour s’apprête à évincer la nuit noire, ce sont des notes de piano au ton spirituel qui accompagnent PyrrhvsMani et SeizzOnTheWave, expliquant « Pourquoi les hommes marchent sous la pluie ».
Entre égotrips et ambiance sombre, sonorités à la fois mélancoliques et lugubres, PyrrhvsMani fournit une expérience immersive qui ne laisse pas indifférente et le démarque du paysage musical actuel. Nuit noire, cachets bleus est un court métrage auditif où son flow se change en chevrotine et ses rimes en benzodiazépines. Une bonne dope étiquetée blue magic qui plaira à tout amateur·trice de boom, de bap et de cognac de bas étage à boire dans des bars sombres qui ne ferment jamais. En espérant que PyrrhvsMani parvienne à trouver le chemin de la paix intérieure – Shell Beach dans ses futurs projets…
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