Diddy
Press Play
Si Diddy est souvent dépeint comme le fossoyeur d’une certaine idée du hip-hop, c’est parce qu’il en a brisé la plupart des tabous. Patron et artiste-phare du label Bad Boy, rappeur par défaut depuis la mort de son protégé Notorious BIG, l’ex-Puff Daddy ne s’est jamais encombré d’une quelconque prétention artistique pour devenir l’une des personnalités les plus riches et controversées de l’histoire du rap. Entre 1997 et 2000, au plus fort de sa domination commerciale, sa voix maigrelette inonde les ondes du monde entier. Sans complexe, il se met en scène, se fait écrire ses textes et ignore ouvertement les règles implicites du crate-digging pour ficeler des tubes internationaux à base d’énormes samples détournés à la pop des années 80. Les dents grincent.
Dix ans plus tard, Diddy est encore plus riche – récemment, son parfum Unforgivable a cartonné – et toujours considéré comme un artiste entre guillemets : pas tout à fait rappeur, pas tout à fait compositeur. Une célébrité clinquante déguisée en (piètre) créateur ? Peut-être, mais en jouant à fond la carte de l’entrepreneur-star survolté dans Press Play, il accouche d’un quatrième album fidèle à son excentricité. Mieux : du rap au R’n’B technologique jusqu’au rock de Wembley et la pop acidulée, il s’affranchit des étiquettes tout en les accumulant une par une. Et réalise un véritable tour de force.
La raison ? Diddy sait se donner les moyens de ses ambitions quand la fainéantise pouvait suffire. Il convoque une armada d’auteurs, de compositeurs et d’interprètes qui s’imbriquent avec brio dans son énorme mécanique hollywoodienne. Timbaland, Just Blaze ou les Neptunes ; Christina Aguilera, Cee-Lo ou Shawnna : tous apportent une contribution de premier plan à un projet qui finit par s’apparenter à un instantané de la culture MTV des trois dernières années.
« Diddy sait se donner les moyens de ses ambitions quand la fainéantise pouvait suffire. »
Mais Press Play se distingue des grosses productions habituelles par un séquençage des titres vif et méticuleux qui, dans sa deuxième partie, pousse son auteur vers des chemins de traverse où, progressivement, il se déconnecte de tout ce qui pourrait ressembler à du rap. L’album devient alors une entité presque autonome qui file de hit en hit, les commandes bloquées sur le pilote automatique. N’importe quel MC perdrait sans doute des plumes à essayer de surnager au milieu d’une telle rutilance mais Diddy, lui, profite de son statut pour s’offrir ce luxe tout en restant maître de son cérémonial. Spectateur et cheerleader de l’album, il réussit à faire le lien entre les méandres pop d’un ‘Through the pain’ et l’énergie brute déployée par les impeccables mandataires des segments hip-hop du disque : K-Def, Havoc et Kanye West.
Côté rap, il n’a pourtant rien de très excitant. On le connaît par cœur : un éternel flambeur (« I’m richer bitch !« ) qui s’invente une part d’humanité en marmonnant des mots d’amour et d’humbles remerciements à son public. Sa grande qualité, en revanche, c’est cette capacité à faire voler en éclat la retenue et à fédérer autour de lui des énergies diverses entièrement à son service. Dans ‘The Future’, il vampirise littéralement le talent d’un autre – Pharoahe Monch, à la fois ghostwriter et voix-témoin – au cours d’une imitation qui serait scandaleuse si elle n’était pas signée par celui qui claironnait fièrement, il y a quelques années : « Don’t worry if I write rhymes, I write checks« . Provocante et sans complexe, sa performance se transforme alors en un joli paradoxe : celui d’un mégalomane au narcissisme éhonté qui choisit pourtant de disparaître complètement à l’intérieur de son album, jusqu’à sortir de lui-même.
Ainsi, alors que Press Play a tout du disque impersonnel – budget mastodonte, graphisme sophistiqué, genre indéfinissable – on réussit à y distinguer précisément les mécanismes qui font de Sean Combs une personnalité à part : cette ambition dévorante couplée à un sens du spectacle indéniable. Avec sa direction artistique faussement hasardeuse qui brille en réalité par son éclectisme calculé et ses contrastes, son quatrième album pourrait bien être une œuvre exigeante inféodée au cœur d’un produit marketing. Et un vrai travail d’artiste.
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