Chronique

Flee Lord x Mephux
Pray for the Evil

Loyalty or Death - 2020

Sur les productions sinueuses de Mephux, l’hyperactif Flee Lord expose son plan de conquête du rap game indé new-yorkais et sort son meilleur projet à ce jour.

Grand protégé de feu Prodigy avec qui il a partagé boissons alcoolisées et freestyles sur les bancs de Lower East Side, proche de la clique Griselda, Flee Lord est tellement actif qu’il est difficile de suivre le rythme effréné de ses sorties. Avec pas moins de cinq projets en 2019 et déjà quatre (!) à juin 2020, le rappeur new-yorkais s’inscrit dans une logique de terrain, multipliant les collaborations et les mini-albums dont la durée dépasse rarement les trente minutes. Au milieu de ce flot ininterrompu, Pray for the Evil, EP de sept titres intégralement produit par Mephux, constitue un sommet artistique remarquable.

L’imagerie religieuse est omniprésente dans la discographie de Flee Lord. Il suffit pour s’en convaincre d’observer les artworks aux allures d’icônes de Gets Greater Later ou Later is Now. Dans Pray for the Evil, c’est une photographie qui interpelle : celle d’une statue religieuse bardée de serpents, devant laquelle une none est en train de prier. Si littérale qu’elle soit, cette illustration invite à plonger dans les abysses d’un esprit torturé où les notions de bien et de mal sont devenues incertaines (« I’ll fire my shots before ya wave your flag »), floutées par une volonté infernale. Car derrière des atours en apparence sophistiqués, les idées de Flee Lord sont somme toute assez simples, et évoquées dès le dialogue d’ouverture de « When My Dough Come » : « Let’s do what we do man, let’s outwork everybody / No waste, 2020 take over »

« Des notions de bien et de mal devenues incertaines, floutées par une volonté infernale. »

Avec sa voix agressive et nasillarde, Flee Lord fait immanquablement penser à Sticky Fingaz du groupe Onyx. Moins gueulard, plus posé, mais la détermination est la même. Sur « 2020 Mines », c’est un véritable plan de conquête qui est exposé à l’auditeur. Même si le New York décati et moralement douteux qu’il dépeint ressemble à celui filmé par Abel Ferrara dans Bad Lieutenant, il se présente comme un personnage affamé, paré à régner par la force et l’accumulation, peu importe l’état du royaume. Il ne s’en cache jamais, assumant parfaitement sa politique quantitative : “I’m trying to make so much more music [than anybody else], until I feel like no one can outdo me in the booth. I respect every rapper and what they have done for the culture, but the one thing that my father always taught me was ‘Be the best at whatever you do.’ A lot of people been like, ‘Flee, you dropping too much.’ But I don’t give a fuck what anyone says. I’m just gonna keep putting music out, because this is all I do—this is all I have.”

Mais pour boulimique du micro qu’il soit, Flee Lord est aussi un redoutable rappeur. Adepte des rimes suivies ou semi-croisées au format [AABA], n’hésitant pas maintenir un flow à la limite du parlé pour mieux impressionner au moment de l’accélération (voir le deuxième couplet de « One Shot »), son interprétation âpre captive et habite idéalement l’édifice sonore construit pour l’occasion. Car Pray for the Evil demande aussi à louer le travail de Mephux, producteur de Boston qui avait signé « Cocaine Paid » sur EIF 2 : Eat What U Kill de Conway. On retrouve dans ses productions une certaine patine cradingue et jazzy, à l’image de « Steppers » qui reprend le sample de George Duke déjà entendu sur le « Untouchable » de Pusha T, ou de « One Shot » et de son saxophone entêtant. Cohérentes dans leur coloration noir charbon et leur tempo lancinant, les productions de Mephux assurent au projet l’homogénéité nécessaire à sa réussite, et à sa sortie de peloton. Flee Lord, lui, vient juste de remettre le couvert avec l’EP Hand Me My Flower, cette fois accompagné de Buckwild en cuisine. D’aucuns pourront regretter qu’il ne se frotte toujours pas au format album. Gageons que cela arrivera, il en a le coffre, mais en l’état force est de constater que cette haute régularité dans le rendement lui va bien. Et qu’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.

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