Chronique

MC Solaar
Paradisiaque

Polydor - 1997

D’une certaine façon, la direction artistique prise par MC Solaar est la plus cohérente de toute l’histoire du rap en France. Fort des succès critiques et commerciaux de ses deux premiers albums, Qui sème le vent récole le tempo (1991) et Prose Combat (1994), Claude M’Barali n’a eu de cesse de poursuivre la voie d’un rap obstinément sympathique, en regardant passer devant lui les modes, la concurrence et quinze ans de carrière. Aujourd’hui, Claude MC évolue dans un cocon où personne n’oserait venir le chercher : son nom n’évoque même plus une certaine idée d’un « rap cool« , et quand il apparaît chaque année sur la scène des Enfoirés, un vendredi soir sur TF1, on sent bien qu’il n’est pas non plus à la fête au milieu des pontes de la variété française. A intervalle régulier, il continue à livrer des petits tubes d’un autre temps, toujours bardés de jeux de mots auto-satisfaits et de références à la pop-culture d’un autre âge : « Da Vinci Claude », le dernier en date (2007), cite Jean-Claude Bourret, présentateur de la 5 au début des années 90. Chronique d’un anachronisme.

En 1997, deux sorties faisaient l’événement : L’École du Micro d’Argent d’IAM et Paradisiaque. Le troisième long format de Solaar aurait pu être le fameux « album de la   de réalisation reste à ce jour inégalée, le rappeur de Villeneuve-Saint-Georges, lui, est resté bien au chaud. A l’image du single « Gangster moderne » – véritable jumeau de « Nouveau western » sorti trois ans plus tôt – le disque est le premier bégaiement d’un artiste qui, jusqu’ici, incarnait comme personne une exception culturelle du rap en France.

Il y a pourtant de belles choses dans ce Paradisiaque prévisible : la présence de la future fine fleur de la French Touch (Zdar et DJ Mehdi), les vocalises « girl next door » de K-Reen, et cette façon agréable qu’avait Laar-So de prononcer les vocables les plus improbables de la langue française avec une voix suave et une pointe de narcissisme (« Du vrai… love… illico-presto »). Il semblait vraiment prendre un plaisir fou à jouer avec ces sonorités picorées par dizaines dans l’Histoire, le zapping télé et les coins de rue : dans ‘Tournicoti’ et surtout ‘Dakota’, il se voyait en maître du monde (« J’aime plein de rappeurs mais celui que je préfère c’est l’homme, MC Solaar, directeur de la Terre en somme »), et quand il se défendait mollement face aux critiques, il le faisait avec une froide désinvolture (« Ma cousine m’a dit de parler vrai, et je le fais, même si ça fait pas new-yorkais »). Si aujourd’hui, on aurait bien du mal à imaginer ce qui le motive à noircir une feuille blanche, il reste dans cet album un savoir-faire indéniable et quelques perles : quand l’ex de Caroline parlait d’amour (« Illico presto » et « Le 11e choc »), il mêlait égotrip, mots doux et surréalisme avec une justesse que peu de rappeurs qui ne s’appellent pas Oxmo Puccino ont su exprimer par la suite.

Au fond, c’est peut-être simplement l’absence du producteur prodige Jimmy Jay qui fit défaut. Peut-être qu’avec lui, Paradisiaque, aurait été le troisième classique d’un MC incontournable. Oui, incontournable. « Ce freestyle est dédicacé à l’homme fort : Solaar » lançaient Démocrates D à la fin du choral « Onze 44 » en 1995. « Tu m’parles poésie, c’est pas mon créneau, j’suis pas Laar-so », ironisaient Express D. En ce temps-là, on l’aimait ou on le détestait, mais au moins il existait. Aujourd’hui, on ne le brocarde même plus. Pire, on ne peut presque plus l’écouter : pour d’obscures raisons, les plus belles heures de sa carrière sont verrouillées à double tour, interdites de diffusion suite à un procès-fleuve que l’artiste a pourtant gagné face à son ex-maison de disques Polydor. Solaar censuré, on aura tout vu. Décidément, les temps changent. Et c’est d’ailleurs en redécouvrant ce hit qu’on se souvient : l’album avait tout de même rencontré le succès, et Claude avait rebondi trois ans plus tard avec un Cinquième as écoulé à 850 000 exemplaires. Mais paradoxalement, même s’il a continué à faire partie du décor, MC Solaar s’est évaporé dans l’époque. Lentement, doucement. Présent mais absent, comme à chacune de ses apparitions sur un plateau de télévision.

Album-symptôme d’un drôle de rappeur, Paradisiaque porte le nom du premier titre de l’album. Avec le recul, le dernier aurait été plus approprié. Il s’appelle « Quand le soleil devient froid. »

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