Chronique

ScHoolboy Q
Oxymoron

Top Dawg Entertainment - 2014

Sur Habits & Contradictions, son deuxième album, ScHoolboy Q balançait les singles parmi les plus infectieux de l’équipe Black Hippy, comme « Hands on the wHeel », « tHere He Go » ou « NigHtmare On Fig Street ». Au milieu de ces titres qui ont fait grimper la cote du plus festif et sauvage rappeur du label TDE, il y avait surtout « Oxy Music ». Trois minutes et quarante-huit secondes qui donnaient son LA à l’album : un break asthmatique, une boucle vertigineuse, et un ScHoolboy racontant à la fois son passé de distributeur d’oxycodone et les effets de cet analgésique devenu drogue récréative. Le morceau donnait une impression de pesanteur, aussi bien dans son ambiance crépusculaire que dans la performance de Q en mauvais garçon lucide sur ses travers.

Si Oxymoron devait passer une prise de sang, ses gammas révèleraient des résidus d' »Oxy Music ». Le titre de ce troisième opus de Quinley Matthews – son premier en major – montre déjà un signe d’affiliation avec son prédécesseur. Il en souligne aussi son aspect oxymorique, car l’album montre quelques paradoxes. Rappeur angelino, Q rappelle plus les bas-fonds du Queens avec son débit faussement parlé sur de nombreux titres, et son goût pour les atmosphères nocturnes, étouffantes et nerveuses. Paradoxal, aussi, parce qu’il a fallu trouver au rappeur un équilibre entre l’esthétique sombre qui a fait sa réputation, et des titres plus ouverts. Un pari réussi avec des singles addictifs comme « Man of The Year », « Collard Greens » ou « Studio », sur lesquels la personnalité de voyou fêtard de Q prend toutes ses largeurs. Ce n’est pas anodin si ces titres, avec « Gangsta », « Hoover Street » ou « Prescription/Oxymoron », sont majoritairement composés par Digi+Phonics, THC et Nez & Rio. Des équipes qui ont imprimé durablement la touche TDE : une musique à la fois drue et vaporeuse. Une sensibilité que ScHoolboy Q a réussi à retrouver chez d’autres producteurs, pour certains déjà présents sur Habits & Contradictions. Il pioche encore chez Alchemist une production d’une simplicité envoutante (« Break The Bank »), et pousse Mike Will à épurer de nouveau son style pour « What They Want ». Comme sur le précédent opus de Q, les ambiances corrosives inspirées par le rock indé (The Chromatics, après Menomena) et le trip-hop (Portishead, sur « Prescription ») composent l’ADN musical de l’album, tout comme les instrumentaux dépouillés et poussiéreux (« Hoover Street », « Blind Threat »). Signe d’une esthétique bien marquée, mais aussi d’une difficulté à se renouveler : les quelques fois où ScHoolboy Q tente de sortir de sa formule personnelle, ça coince. L’épileptique « Los Awesome » et l’estival « Grooveline Pt. 2 » dénotent et tranchent trop brusquement dans l’ensemble brumeux d’Oxymoron.

Ce manque de surprise dans l’album est peut-être lié, aussi, au style de ScHoolboy. Moins réfléchi et calculateur que Kendrick Lamar, mois confident sur ses remords que Jay Rock, et moins enclin aux délires psychotropes qu’Ab-Soul, ScHoolboy Q est le membre le plus instinctif des Black Hippy. Une viscéralité qui en fait un rappeur souvent plus accessible que ses trois comparses, avec un besoin de s’éclater cathartique et communicatif – une caractéristique qui le rapproche d’un Danny Brown. L’intensité de ScHoolboy Q derrière un micro marque une vraie différence avec ses pairs. On parle d’un rappeur à qui il suffit de crier frénétiquement plusieurs « gangsta » et « yak yak » en ouverture de son album pour planter le décor. Il y a quelques années, le journaliste Andrew Noz parlait de l’importance de l’effort dans le rap et l’exemple de Nicki Minaj au milieu du casting all-star de « Monster ». C’est cette rage qui caractérise ScHoolboy Q, dans ses simples ad-libs, ses gimmicks du refrain d' »Oxymoron », ses récits de mauvais trips dans « Prescription » ou d’accoutumance à la violence dans « Hoover Street ». Une fureur partiellement partagée par ses collègues du Black Hippy, mais fondamentale chez Q. Lorsqu’il balance « If God don’t help me, this gun will, I swear I’m gonna find my way« , ou lors de ses couplets enragés sur « Break The Bank », son interprétation suffit à faire déborder une volonté exprimée en quelques rimes. Une envie de transcendance qui, appliquée à Oxymoron, ne prend pourtant pas, malgré une qualité globale indéniable de l’album.

Oxymoron pourrait évidemment souffrir d’une comparaison avec good kid, m.A.A.d. city de Kendrick Lamar, son prédécesseur dans la série des albums sortis par TDE en major. Un jugement partiellement hâtif et erroné, car les deux collègues ne partagent ni les mêmes ambitions, ni les mêmes tempéraments. Quand Kendrick a visiblement pensé de longue date son album concept, Q a simplement fait franchir un cap à une formule appliquée de manière presque trop similaire. Kendrick est fourmi, ScHoolboy, sauterelle. Une spontanéité qui marque à la fois la qualité principale et les limites d’un album entrainant et dense, mais manquant d’un brin d’audace, presque scolaire. Au fond, c’est peut-être le seul paradoxe qui fait défaut à l’album d’un type qui se fait appeler l’écolier.

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