Chronique

La Moza
Mozaïstes

Autoproduit - 2008

Incorrigible et respectable hydre polycéphale que ce bon vieux rap en français. Cinq ans après l’adieu à la défunte Cinquième Kolonne, et alors qu’il semblait condamné à ne plus osciller désormais qu’entre ses penchants spirituels (famille Ali) et spiritueux (famille Booba), le son qui fout la dépression semble de retour… Moza car mosaïque.  » Mozaïste : artisan qui compose en assemblant de multiples fragments liés par un même ciment » dit en Cambria taille 8 la quatrième de couverture du livret du premier album de La Moza. Mais encore ?

« Œil pour œil dent pour dent ça fait des aveugles et des édentés ». La Moza est un triangle qui relie le beatmaker Raistlin aux deux MC, Boosta et Nemo. Isérois, le crew crée depuis 1999 (pour les MC) et 2002 pour Raistlin. « Mozaïstes » est leur premier album. Il confirme les promesses entrevues quelques mois plus tôt lors de la sortie de leur maxi vinyle, et sur scène lors de leurs prestations au cours de l’édition 2008 du Festival L’Original.

Techniques, les instrus ont l’humilité de se tenir à l’ombre des textes. Raistlin apparaît comme un producteur cultivé, cosy, élégant et loin d’être atone lorsque vient son tour d’empoigner le micro (‘La gamme du chronomètre’). L’homme ne sature pas l’oreille mais l’instruit par micro-touches façon Stoupe de Jedi Mind Tricks ou Kool M et Soul G époque « L’ombre sur la mesure ». Soucieux de l’unité de son, il tamise le morceau d’avant pour préparer au morceau d’après – en témoignent les nombreuses incisions/respirations tout au long des vingt plages. Côté MCing, la pureté des intentions, le consensualisme des indignations – sus aux « toupies », à Dassault ou aux 6 mai au Fouquet’s – et l’occidentale manie de se focaliser sur la moitié vide des verres d’eau sont heureusement contrebalancées par la sève de plumes exigentissimes à la précision intelligible et travaillée. Mention spéciale à Nemo, béton à chaque couplet aux côtés des inflexions à la D’ de Kabal de Boosta, désarmant sur ‘Ma logique’ et insubmersible tout au long des 5’49 de métaphores acqueuses du morceau pivot de l’album, ‘Trace écrite’ : « De quoi j’ai l’air ? D’un schizophrène qui s’autoproclame capitaine ? D’un petit capricieux qui se plaint de planer sur un tapis de peines ? Le mal de vivre a bon dos, c’est pas pour autant que j’abandonne. Je reste en apnée quand je manque sérieusement d’O2 dans ma bonbonne. Refais surface, sors la tête de l’eau pour bouffer ce monde, quand le doute s’estompe et que j’essaie de profiter de toutes les secondes… Le temps est mon ennemi, j’aimerais pouvoir en faire mon allié. C’est un adversaire contrariant, j’avance mes pions sur son damier. C’est fou, j’avoue : je ne dois plus viser la vitesse de la Subaru. Pas de fumée sous ma roue, je préfère la discrétion du sous-marin. J’ai tout à coup décidé d’assembler tous ces mots bout à bout. Je viens caresser la vie – tu sais, y’a pas mal d’épines sous ma main… Je viens cracher ces mots dans le crom’ pour ne pas qu’ils résonnent en vain dans un vaisseau fantôme. J’empaume chacune de mes métaphores sous-marines, je continue de creuser : qui sait, il y a peut-être un trésor sous ma rime. « 

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