X-Men
Modus Operandi
Quand on l’interviewait en 2012 Ill, entre autres phrases mémorables, nous disait ceci : « Si je ne suis pas la nature, j’échoue. Si je suis la nature je suis capable de rebondir, d’accélérer… Fibonacci ». Aujourd’hui Modus Operandi ressemble à ce paradoxe : à la fois axiome et hypothèse, latence et mouvement, il répond à plusieurs interrogations pour mieux en dévoiler de nouvelles.
Premier projet des X.Men depuis un Jeunes, Coupables et Libres certifié classique un peu faute de mieux, cet EP de huit titres signe le retour d’un groupe qui semble à présent pleinement conscient de son statut de légende. Étrangement, cette prise de conscience n’agit ni pour ni contre eux. Elle se contente d’être là, parfois un peu envahissante (« On doit faire que des classiques » dans « Class. X »), parfois tellement évidente qu’on ne peut que hocher la tête (« Je vis ma légende, alors je la chante »). Il faut bien dire qu’au-delà des mots, le simple fait de réentendre Ill et Cassidy rapper ensemble procure un réel plaisir. L’alchimie parfaite qui était la leur vingt ans plus tôt opère toujours en 2015 : on se croise, on se répond… C’est une évidence de le dire mais cet EP n’a pas été fait par deux mecs dans leur coin ; plutôt par quatre mains et un seul cerveau.
Évidence encore : les deux compères n’ont pas oublié leurs gammes et Modus Operandi est un projet foutrement bien rappé. Quelque part entre vrai professionnalisme et bagout de freestyler, Ill et Cass’ ne réinventent rien mais rappellent à quel point ils ont été en avance sur leur temps. Arrangements de rimes, de rythmes, multiples images et références sont toujours de la partie et se croisent comme au premier jour, sans coup de génie mais avec un brio certain. Meilleur morceau de l’album, « Royaume » (qui est aussi le premier à avoir été enregistré) déploie une étrange facilité et – c’est un tour de force – apparaît tout autant actuel que d’époque.
« Au-delà des mots, le simple fait de réentendre Ill et Cassidy rapper ensemble procure un réel plaisir. »
C’est aussi la limite de ce Modus Operandi : tous les morceaux ne parviennent pas à retrouver cet équilibre précieux. Bien conscients d’appartenir à une époque, celle de Time Bomb et des freestyles chez Génération, Les X jouent très bien de leur expérience passée mais peinent parfois à dégager une vraie légitimité au temps présent. Le morceau titre, « Première attaque… » et « Class. X » tirent un peu trop sur la corde nostalgique pour fonctionner pleinement. Évidemment, il est toujours possible de mettre cela sur le compte du retour tout récent du groupe, avec ce que cela suppose de mise au point, de bons souvenirs à rappeler, et d’espérer que ces moments ne seront pas aussi présents dans l’album à venir. Mais c’est d’autant plus dommage que l’introduction « Business iz business », avec ses deux couplets sentencieux et sa production épique, laissait entrevoir une envergure toute différente. Idem pour le morceau avec Nekfeu de 1995 qui, au-delà de son ironie savoureuse, se montre plutôt efficace et construit un joli pont entre deux générations visiblement respectueuses l’une de l’autre. Mais par la suite, des choix d’instrumentaux quelque peu convenus et cette tendance à retomber dans l’hommage empêchent le EP de véritablement décoller. Reste ce « Minuit dans la glace », fascinante balade nocturne dans les recoins de la tête de Ill, porté par une superbe partition de Pone et qui, peut-être, augure d’une suite différente davantage portée sur l’instant T que sur les antécédents.
Coincé quelque part entre deux époques, Modus Operandi est un projet à la fois solide et bancal, qui semble pêcher par ses excès de confiance mais valoir pour ses incertitudes. Qui attendait un tant soit peu le retour des deux prodiges de Ménilmontant en espérait probablement plus. Ni complètement retour à la base, ni vraiment retour aux pyramides, cet EP rassure sur les immenses qualités de Ill et Cassidy en 2015 mais pose des questions sur la véritable pertinence de leur retour. Parce qu’on n’a pas envie d’oublier le come-back, reste à espérer que l’album qui va suivre y répondra avec fracas.
Espérons que cet EP soit la mise en bouche avant un album plus poussé car celui-ci nous laisse grandement sur notre faim. Des titres trop courts et sans réel univers. Malgré ça, c’est un réel plaisir de réentendre les X Men sur un nouveau projet qu’ils ont finalement sortit pour de vrai. J’aimerai pouvoir en dire autant d’HiFi (on attend toujours l’album..).