Shaolin & DJ Kreestyle
A l’instinct volume 2
Ni rassasiés ni découragés par les quelques centaines d’exemplaires écoulés du premier volume de leur pérégrinations instinctives, Shaolin et son Monaster n’entendent pas vivre dans la réclusion et continuent de faire pousser les fruits d’un art séculier. Avec le recul, la première cuvée A l’instinct s’était révélée plutôt décevante, entre le manque de tranchant de la plupart des invités et des prestations de Shaolin inégales et trop décousues, loin de ce qu’on pouvait en attendre. Un coup d’essai, en somme, qui démontrait la difficulté de tenir la baguette du chef d’orchestre tout en se consacrant à sa propre partition. « A l’instinct volume 2 » se devait dès lors de résoudre un paradoxe encombrant : concilier l’envie de tendre le micro autour de soi avec le besoin de créer un univers sonore personnel. Un constat s’impose aujourd’hui : si le concept du disque est resté le même, plus proche de la compilation que d’un véritable projet de groupe, le résultat s’avère nettement plus convaincant. Plusieurs morceaux atteignent même des sommets qui font la richesse de ce disque, en dépit de baisses de régimes passagères.
« Déconfit par les brûlures des projecteurs, je me fous de ces conflits : je suis objecteur de conscience. Prospecteur de mes propres pensées, le bilan est concis : je ne veux pas ramper mais rapper en paix. »
Jeune pré-retraité des forums Internet sur lesquels il ne manquait pas de tisser ses rimes et d’attiser critiques et débats, Shaolin revient avec ce disque comme un serpent après sa mue. Il est loin le temps des clashs entre deux messages pour la gloriole d’une suprématie hasardeuse ! Dépouillé du superficiel, son style gagne en justesse et en intensité. Rejetant l’anecdotique pour s’appuyer sur des contacts plus humains, Shaolin trouve dans chaque rencontre artistique le révélateur de son immense potentiel. Si les morceaux en compagnie de ses habituels complices Undergnome et Kreestyle (‘Second… volez !!’, ‘Pâle estime’) ou des voisins de La Doxa (‘La route est longue’) restent classiques, c’est à l’occasion de collaborations moins convenues que le moine à lunettes impressionne réellement. En compagnie de Sheek, auteur d’une performance ahurissante en « human beat-box » sur multi-pistes (‘Do the right thing’), ou sur une production sautillante du GP Crew que Shao dompte avec humour et maestria (‘Tel est pris qui croyait vendre’), tout comme celle concoctée par Defré Baccara (‘De l’odieuse au grandiose’). Enfin et surtout, le duo formé avec K-Tharsis – lui aussi métamorphosé depuis le premier volume – fait basculer Shaolin dans un registre plus intime où il se révèle aussi éloquent que convaincant pendant que la musique de K-Tharsis entame un doux flirt avec la mélancolie sans jamais céder aux caprices de la facilité ni succomber aux appels du mielleux (‘Objecteur de conscience’ et ‘Sans frontières’).
« Je veux faire de la route et goûter à l’exotisme, me tourner vers les autres, les écouter bouter l’égoïsme. »
Cela aurait pu donner un EP de grande qualité. Mais c’était sans compter sur la volonté d’échange et d’ouverture qui caractérise le maître des lieux. Celui-ci laisse carte blanche à ses invités, ouvre la porte d’un monde qui n’est pas encore totalement le sien en les conviant sur ce support hybride. L’intention est louable, le résultat est malheureusement à double tranchant. L’improvisation toute en énergie de Zoxea ou les élucubrations de Lyntikfa et autre égotrip de Philémon ont en effet tendance à étouffer l’atmosphère naissante. Certes, on est en plein cœur du concept annoncé : à l’instinct… Mais devant la précision de la majorité des thèmes et des textes, force est de reconnaître qu’on est plus dans un registre de maturation artistique que dans l’intuition et le verbe spontané.
A l’image du morceau des Gourmets, ‘Le grand bazar’, quelques titres témoignent d’un certain éparpillement, que souligne la qualité hétérogène des morceaux. Sans avoir à rougir de honte, les collaborations franco-américaines (‘Normal man’ et ‘Instincts d’MC’), tout comme les morceaux respectifs de Moudjad et Jeff le Nerf, n’apportent pas grand-chose au disque, si ce n’est quelques rimes bien placées et un zeste d’ambiance décalée. De même, là où Fitzroy ou Sept (sur une instru de James Delleck) parviennent à transcender des thèmes usés jusqu’à la moelle sur l’état du rap français, Chiens de Paille et Masar tournent en rond dans un morceau que seuls sauvent quelques éclats dont est encore capable Sako – et le crédit qui reste à son actif. Au final, seuls Taïchi et Fisto parviennent réellement à se hisser au niveau de leur hôte. Dans l’incandescent ‘C’est triste’, le flow de Taïpan s’enroule comme la fumée autour du beat audacieux et joliment ironique de son cousin CHI. Fisto endosse quant à lui l’habit désabusé de l’alchimiste du verbe avec ‘Soliloque’, et transforme son spleen du quotidien en un joyau d’interprétation portée par un duvet de notes graciles tissé par Julien Sarrazin et l’inévitable Defré Baccara.
« Mes chansons errent sur des terres où trop de gens sont fiers de leur pays, leur patrie, mais mon rap, l’ami, est sans frontière. »
La spontanéité n’aura eu finalement qu’un rendement bien mince au sein de ce disque qui s’en voulait l’emblème, mais qui s’en plaindra ? Si les talents d’improvisateur de Shaolin ne sont pas vraiment mis à contribution, on lui découvre en revanche de nouvelles qualités d’artiste complet. L’aspect compilation aura beau laisser une impression mitigée, cette nouvelle initiative du Monaster est à l’origine de quelques uns des titres les plus intenses et les plus réussis de cette année. Et Shaolin s’y révèle enfin, plus efficace que jamais une fois tombés les derniers barbelés.
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