classique

113
Les Princes de la Ville

S.M.A.L.L. - 1999

La scène se passe au nord de Paris, un 11 mars 2000. Sur la scène du Zénith débarque un 504 break bondé au son d’un violent breakbeat et de violons berbères, avec à son volant trois lascars – un antillais, un malien et un algérien. Lors de cette soirée, le 113 remporte deux victoires de la musique : celui de l’album rap pour Les princes de la ville, et l’autre de la révélation de l’année, prix décerné grâce aux votes du public. Il faut voir, dans la foule des spectateurs, certains regards incrédules ou consternés, pour comprendre la force de l’évènement et l’aura qu’a alors le groupe, devenu nouvelle idole du rap français du début des années 2000.

Comme la pochette de Les princes de la ville, montage de photos formant le nom du groupe et de l’album, les treize titres (complétés de deux supplémentaires dans sa réédition) dessinent un portrait de cette vie grise dans les rues du 94, sans esbroufe ou effet de manche. Caustiques et attachants sur leur retour aux racines (la série des « Tonton »), créant des ambiances sombres et réalistes (« 1001 nuits » ou « Face à la police ») ou hollywoodiennes sur les livraisons de Pone (« Hold up » et « Réservoir drogue ») : les trois rappeurs du groupe mettent leur style simple au service de récits prenants.

Du trio composant le groupe, l’album confirme un tandem, celui de Rim’K et AP. Presque similaires dans le flow (plus féroce pour Karim, plus fluide chez Yoan), les deux rappeurs échangent souvent leurs rimes pour dynamiser leurs prestations. Fascinés par la criminalité, ils évitent pourtant d’en mimer le mode de vie dans leur texte, et canalisent la hargne qui les animait sur Ni barreaux, ni barrières, ni frontières, EP précédant l’album. Au détour de quelques phrases célébrant leur culture de la débrouillardise et leur argot val-de-marnais, ils ruminent leurs erreurs scolaires (« Les regrets restent »), et montrent une grande circonspection face à la violence crapuleuse (« L’âge du meurtre », morceau caché avec Karlito en invité mystère). Mokobé est, lui, plus en retrait : il faut attendre le cinquième morceau, « Les regrets restent », pour l’entendre rapper. Malgré tout, il apporte un supplément d’âme au style très couillu d’AP et Rim’K, offre un contre-point solennel et fraternel à l’hédonisme de ses potes sur le tube « Jackpotes 2000 », et ouvre de manière poignante « Sans retour », longue interlude sans rap dédiée aux proches disparus du groupe.

Caché derrière ses machines, DJ Mehdi est le quatrième homme de l’album. Peut-être d’avantage que sur Le combat continue d’Ideal J, il impose ici sa griffe si particulière, faite de samples filtrés et de beats cinétiques. Il valorise ses talents d’architecte sonore au service de la cohérence de l’album : il met en boucle René & Angela comme dans un tube de house (« Jackpotes 2000 »), donne à la douceur d’Al Green un tournis giratoire (« Face à la police »), réactualise l’hypnose électrique de Kraftwerk (« Ouais gros ») ou rallume une mèche allumée par RZA en 1993 (« 1001 nuits »). Preuve que l’album est autant le sien que celui du groupe, les rappeurs lui laissent conclure de manière funky « Les princes de la ville », indiquant, déjà, les volontés du producteur de s’aventurer sur d’autres territoires sonores.

« Les princes de la ville », justement. Les différents tableaux peints par le trio, sans fatalisme ni fantaisie, aboutissent logiquement à cette conclusion de l’album, hymne des cités françaises – autrement dit, en langage rap, un ghetto anthem. Blasé par un système qu’ils ne comprennent pas – ou est-ce le contraire ? – AP et Rim’K cristallisent l’état d’esprit d’une génération, résumé en quelques vers par Karim : « Au chômage, pourtant jeunes et ambitieux, c’est pour nous qu’ils ont créé l’ANPE. Mais y’a une queue d’un kilomètre, pour gagner trois pépettes, si j’peux me permettre, qu’ils aillent s’faire mettre« . Pourtant, à l’image de l’album, son morceau titre est rempli d’optimisme, faisant ressortir comme rarement auparavant ce sentiment de fierté d’appartenance à un quartier, une ville, des racines comme moteur d’ambition sociale et existentielle.

Succès commercial et critique, Les princes de la ville a installé le 113 comme un groupe majeur du rap français. Précédant l’émergence de Rohff comme figure de proue du triangle Orly-Choisy-Vitry la décennie suivante, le 113 a, avec cet album, conforté un peu plus le statut de la Mafia K’1 Fry comme l’école d’un style de rap – authentique jusque dans ses travers, inspiré autant par les valeurs familiales que celles du banditisme, communautaire mais ouvert, orgueilleux dans la marginalité. Sûrement dépassé par l’enjeu, le groupe ne fera jamais mieux que ce premier album. Qu’importe : frontal sans être brutal, accessible sans être complaisant, l’album donne à chaque auditeur l’envie d’être, lui aussi, un prince de la ville.

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2 commentaires

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  • Jack,

    La communauté arty s’était émerveillée de la pochette à l’époque alors que le concept était ultra pompé sur Cru – Dirty 30…

  • zemartinus,

    bonjour, je voulais juste partager avec vous un montage que j’ai réalisé, la version 60’s et blousons noirs du classique de la Mafia k’1 Fry POUR CEUX

    https://www.youtube.com/watch?v=gcqDqsXoJ_A