Jeff le Nerf
Les Nerfs sur le verbe
Vous ne connaissez pas Jeff le Nerf ? Vous n’êtes pas le seul. Et c’est bien dommage. Rappeur originaire de Grenoble, Les nerfs sur le verbe est sa première mixtape, sortie dans l’indifférence absolue. Présentant ses acolytes presque aussi célèbres, elle constitue une carte de visite détonante en comparaison avec les sorties environnantes. La quasi-totalité des morceaux oscillent entre délires de potes et prouesses techniques, les deux n’étant pas incompatibles. On sourit souvent, on rit même parfois, à l’écoute des parodies de pubs, des flows plagiés et des improvisations enchaînées.
Le premier passage marquant est justement cette ‘Impro freestyle Saph test’, dans lequel Jeff le Nerf et TH Lonaz Dobaz improvisent, avec aisance, sur les mots lançés par Saph. Faramineux, deux-feuilles (« Tellement j’te laisse mort que tu porteras deux deuils« ), hélicoptère, Demis Roussos (« Je voulais juste toucher les seins des miss rousses seul« ), chauve-souris, Tortue Ninja (« Moi, c’est TH, et ma petite soeur s’appelle en tous cas pas Ja-nin« ), parodie, George Clooney (« Je reviens pour t’clouer, c’est Jeff, c’est les urgences, c’est pas George Clooney, et pourtant Jeff t’laisse une pure chance, un truc bizarre comme dans Batman, George Clooney, c’est même une chauve-souris« ) ou Pampers sont autant de prétextes à étaler la rapidité de leur esprit.
Décidément enclin à la dérision, ‘Fasila pomper’ permet à la fois de tester ses connaissances en rap français et de relativiser la notion de flow. Introduit par le fameux : « Well, that does it, I’ll teach you a lesson now« , Jeff reprend le style d’écriture et les intonations de, accrochez-vous, Oxmo (« Avoue la lourdeur d’ta jalousie, alloue le style d’un autre et tu pars déjà looser ») Le K. Fear, Booba (« Si les frères pensent qu’à s’canner, rien qu’c’t’année, combien se feront sucer, plagier ou scanner ? Depuis l’temps qu’on dit qu’ça arrache. Je voulais dire ça à la cain-ri, mais comme il dit Moussa : nique sa race« ), Dany Dan, Kéry James, Lino, Disiz la Peste, Sat et Faf la Rage. Quand le quidam moyen imite les rappeurs en scandant « Yo, yo, nique ta mère« , Jeff le mercenaire accomplit l’exercice avec une ressemblance vexante.
La parodie semble d’ailleurs le point fort de cette tape, tant elle survient sous de nombreuses formes. Le fameux refrain de ‘Simons says’ (Pharoahe Monch) devient « Guette tes faux potes » dans un interlude tandis que ceux de ‘Maria’ (Santana) et ‘La playa’ (La Clinique) hante ‘Lahaya [Illishit]’. Les pauses dédiées aux sponsors rappellent les pubs des Inconnus ou des Nuls, l’image un moins. De manière plus insidieuse, plusieurs attitudes ou expressions hip hop sont brocardées dans les morceaux plus classiques. Loin d’être agaçantes, ces petites piques se voient d’autant plus légitimées que Jeff et consorts ne font pas pâle figure lors de leurs morceaux plus classiques. ‘Quand on sait qu’on part’ est clôt par un des rimes avec chaque lettre de l’alphabet doublée, ‘Ghostyle’
voit le « mercenaire sur le verbe » s’attaquer avec réussite à l’instru de ‘Raize your sword’ (tirée de la BO du film Ghost Dog), ‘N.I.Z.A.R.’ fait preuve d’un refrain entraînant, ‘Ma peine elle se lit’ confirme la singularité de TH…
Malgré quelques imperfections, cette tape a le grand mérite de sortir des sentiers battus et re-battus. Jeff le Nerf et le tout le crew Collal-shit ont aisément de quoi imposer leur style, même s’il est tellement éclaté qu’il semble prématuré de le définir.
vive Jeff bidoche