Kyma
Les chants du Barillet [99-05]
« La barbarie du marché n’a ni couleur ni domicile fixe, et le prix de la paix est élevé. On veut bien nous dire que la violence ne mène à rien, mais on en est pas sur. On ne demande qu’un rien de bonheur, un espoir d’avenir… On demande aussi de ne pas détruire la planète, d’arrêter de dire que la croissance amène le progrès, et que le progrès amène la croissance. »
Ces mots résonnent comme un énième coup de feu sortant du canon des « Chants du Barillet ». Le barillet, celui que ne cesse de recharger Kyma, groupe tourangeau qui se revendique d’un triptyque politique-électro-rap et estampille ses logos d’un AK-47. « Trois lascars sur le bas côté prêt à défier ton industrie » influencés de leur propre aveu par « L’homicide volontaire » et suivant avec intérêt le parcours de La Rumeur comme celui de Charlie Bauer. « Les chants du barillet », un bootleg de morceaux revisités et d’inédits qui se veulent un pavé dans la vitrine du grand capital connecté à la politique.
« Crois pas que dans ce pays tout le monde marche la tête basse, sur le bas côté y en a qui hochent la tête sur fond de basse ».
Résolument opposé à l’évolution du monde, dénonçant en vrac un large lot d’injustices et glorifiant son inadaptation au monde, Cesko, MC et concepteur sonore du groupe, adopte un ton vindicatif. Soutenues par une voix plutôt parfois blasée, parfois nerveuse, les menaces insurrectionnelles se multiplient, se faisant un devoir de faire monter la pression. Tout y passe dans le propos de Kyma, porté par une écriture bien articulée, concrète et directe à défaut de punchlines et analogies chocs. Ici, on est en vif dans le sujet. Le disque est à charge et le canon du Kyma fume durant 68 minutes, dénonçant la condition des salariés, taulards, chômeurs et autres « sans voix ». Entre des incursions dub, des scratches signés de son acolyte DJ Fysh, Cesko applique dans une vague sonore remplies d’influences diverses la « théorie du chaos » et appelle de ses voeux « l’année du boomerang ». Il incite à maintenir la pression et promet l’insurrection à venir.Le barillet du Kyma chante un rap qui prend des allures d’itinéraire clandestin.
« Gangrenons cette société comme un virus dans le sang, infiltrons chaque organe vital du Léviathan. »
Mais suffit-il de se « faire l’écho des opprimés » et de tracer des « itinéraires clandestins » pour être un agitateur ? Une chose est sûre les incartades comme les dénonciations de Cesko sont contrebalancées par une certaine humilité, un regard sur soi-même qui n’a rien de complaisant. Car les « Chants du barillet » c’est d’abord le rap de celui qui a mal à l’âme. Le flow comme le discours de Cesko sont des hémorragies qui suintent l’urgence. Torrentiels mais réguliers, monocordes comme pour rappeler que l’hémoglobine n’a qu’une couleur, que la routine des coups anesthésie l’émotion. Presque masochiste, le MC remue le couteau dans les plaies, et en premier lieu dans les siennes. Tête haute même en regardant ses erreurs, Cesko n’affirme rien regretter mais confesse crûment ses problèmes familiaux, son rapport problématique au shit, son incapacité au bonheur, ses anniversaires seuls, sa « peur de travailler à en devenir débile » comme de mettre au monde un enfant. Il fend l’armure, concède ses doutes et admet son penchant pour l’autodestruction au point d’être parfois touchant malgré « son éducation à coup de fumée et phrases pessimistes ».
« Chomage, progrès techniques, régression, récession, racisme en progression, simulation de démocratie, conscience en dépression, mal de vivre, tristesse, solitude, ivresse, chez la jeunesse, un manque d’ambition. Paralysie et manque d’argent, l’Elysée qui nous ment, personne en qui croire au parlement, esssais nucléaires, programmes scolaires précaires, comptes bancaires à découvert, nos vies des coups de poker… »
Fabe, ‘La rage de dire’.
« La rage de dire, c’est juste à cause de ça » concluait Fabe en introduction de son dernier album. La rage de dire, Kyma la partage, mais à la différence de l’impertinent, explique qu’elle l’a amené parfois à toucher le fond. Quand Fabe pointait du doigt les causes avec discernement et impertinence, le Kyma fulmine sur les conséquences l’index sur la gachette, prêt à mettre sa propre tempe dans la ligne de mire si il le faut. Le fond donc, et puis la forme. Kyma a la sienne, avec un rap au premier abord assez classique derrière lequel se cache une série de signatures : pas d’utilisation abusive des refrains et un large catalogue de samples de films, des interludes dont une piste slam, la multiplication de scratchs bien placés par un Dj Fysh inspiré à défaut d’être flamboyant de technique, des incursions électro-dubs, donnant au disque une alternance entre sons synthétiques, nappes, et sampling de notes de piano et de guitares sèches. Mais sur ses instrus plutôt calmes, privilégiant un mixage façon 90’s porté sur les médiums, Kyma crie sa colère de façon acerbe et directe, compte les coups comme les douilles au sol. « Les chants du Barillet » ou un album de rap autoproduit à l’engagement rare. Celui de tout donner, y compris le plus noir, sans pudeur et parfois même sans recul. En bref, un véritable témoignage. Celui d’une époque vue par ceux qui ont refusé de s’y adapter et qui tentent de tenir le choc en exprimant leur dégoût du système en place. « Anger is a gift » criait Zack de la Rocha il y a déjà 15 ans.
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