Chronique

T.I.
King

Grand Hustle / Atlantic - 2006

Depuis 2001 et son premier album, T.I. n’a eu de cesse de réclamer le titre de roi du Sud des États-Unis. Objectif affiché ? Auto-persuasion ? Simple credo pour egotrips ? L’insistance avec laquelle il martelait ses prétentions au trône laissait en tout cas penser qu’elles étaient un peu plus que des bravades. Toujours est-il que si l’on reconnaissait volontiers à T.I. de grandes qualités et un énorme potentiel, il lui manquait un album indiscutable, évident, pour mettre tout le monde d’accord. Jusqu’en 2006 et King. Avec sa pochette sobre, son titre fort et presque cru, le disque affirme tranquillement le statut de son auteur, sans vantardise apparente, sans débat possible. L’arrogance agressive des premiers albums a fait place à la certitude d’être dans son bon droit. King est le sacre que Tip attendait.

Un souffle triomphal parcourt presque chacune des pistes de l’album. Les cuivres tonitruants et omniprésents contribuent à donner au disque une dimension épique très marquée. Les morceaux passent de l’hymne guerrier à la parade de victoire dans un enchaînement limpide et sans temps mort. C’est d’ailleurs par son équilibre que King surpasse les autres albums de T.I. Il ne souffre d’aucune baisse de rythme et il évite les brusques changements d’ambiance. Même les titres dédiés à la gent féminine, « Hello » et « Why You Wanna », ne tombent pas dans la facilité et sont à leur place. L’album a toutes les allures d’une grosse machine mainstream, mais il sonne juste. Il est moderne tout en gardant une identité sudiste forte. Les invités, majoritairement issus de la third coast, sont dans le ton (si l’on excepte la présence énigmatique de Common) et apportent un soutien appréciable. Non content d’accueillir UGK sur « Front Back », qui rend hommage à l’un de leurs titres de 1994, T.I. reçoit même la bénédiction de Pimp C sur une interlude où ce dernier explique que la polémique au sujet du titre de roi du Sud n’a pas lieu d’être et que quiconque fait les choses comme un roi est un roi. Dans le genre appui d’une autorité, difficile de faire mieux. À la production, toujours du côté des anciens, c’est Mannie Fresh qui vient prêter main forte en fournissant deux instrus avec son style si reconnaissable : sautillant, synthétique, d’apparence simple mais toujours soigné. Avec l’aide de ces ténors du Sud, T.I. partait avec une longueur d’avance, mais il faut plus que cela pour réaliser un classique.

Toute la production de King est un modèle du genre. Malgré des beatmakers à la personnalité marquée, les instrus du disque forment un ensemble cohérent, naviguant entre violence et nonchalance. Plus en forme que jamais, Khao, Swizz Beatz ou encore Just Blaze sont à la manœuvre derrière les machines. Et puis bien sûr il y a DJ Toomp. Pourtant peu présent avec seulement deux productions, il impose sa patte en offrant à T.I. le single parfait pour porter son album : « What You Know ». Le morceau a cartonné, a raflé des récompenses, et c’est amplement mérité. Il s’agit d’un des morceaux ultimes pour rouler à 20 km/h en plein été. Les synthés sont puissants, majestueux, le nombre de bpm ridiculement bas, et T.I. traîne sa voix en exagérant chacune des intonations. Une musique digne d’un général victorieux qui revient au pays. King est plein de ces coups d’éclat, c’est un bloc rugueux, à peine nuancé par quelques teintes plus douces faites de piano et de refrains chantés. T.I. s’y balade comme sur un terrain de jeu, lançant des menaces, clamant son titre, exhibant ses richesses. Les parenthèses plus calmes, sur un ancien amour ou encore sur les proches disparus, sont moins convenues qu’elles auraient pu l’être et offrent même un regard mature sur ces lieux communs du rap. T.I. avait vingt-six ans en 2006, mais King est bien un disque de vétéran, maîtrisé d’un bout à l’autre et qui balance avec justesse entre la fougue des débuts et une construction plus réfléchie.

Même si les coins de rue semblent déjà loin, T.I. rappelle régulièrement son passé de dealer de dope et le rôle qu’il a joué dans la popularisation de la trap music. Il éprouve sans cesse le besoin de réaffirmer sa nature véritable. « You can keep the car, the clothes, the money and the hoes, just gimme a couple of O’s, drop me off at the sto’, and I’m straight ». Tip joue à merveille son rôle de dealer reconverti, qui garde toujours un pied dans la rue. La formule n’est pas neuve, mais il l’exécute très bien. T.I. n’a peut-être jamais été aussi affûté que sur cet album. Il varie les rythmes, les schémas de rimes, déroule un flow rebondissant et toujours fluide. Il donne l’impression de manger la moitié des mots et il les enrobe avec des intonations élastiques, de telle sorte que ses couplets ressemblent parfois à de longues phrases ininterrompues. Si la plupart des morceaux sont rappés avec une assurance tranquille, il lui arrive de se faire plus pressant et d’accélérer le débit, comme sur « I’m Talkin’ to You » et ses mises en garde frénétiques. Sur cet album, T.I. prouve avec une constance irréprochable qu’il peut être impressionnant sur n’importe quel type d’instru. À ce jour il n’a jamais fait mieux sur tout un long format. Avec King, il s’est définitivement imposé comme une figure de proue du rap et a dévoilé des ambitions de régner bien au-delà du seul Sud.

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