Joey Bada$$
1999
Quand Joey Bada$$ lâche en juin dernier sa première mixtape sur la toile, l’opération s’apparente un peu à une bouteille envoyée à la mer. Notre sombre héros de Brooklyn a dix-sept balais et une notoriété à construire. Et si le clip de son premier morceau « Survival Tactics » avait su susciter un certain écho, la caisse de résonance médiatique a véritablement explosé avec 1999. Un premier essai pris dans un tourbillon médiatique irréel, initié par les réseaux sociaux et quelques figures établies (Johnny Shipes, 9th Wonder). Repris dans la foulée par quelques institutions comme Pitchfork et le New York Times, le phénomène n’a cessé de s’étendre comme un retweet sans fin. Jusqu’à amener, il y a quelques semaines, Joey et sa clique de Flatbush en Europe, pour une tournée entre triomphalisme et curiosité.
1999 : le titre est à l’image de son auteur. Bada$$ a bouffé des caissons entiers de gros boom-bap new-yorkais et l’univers sonore de ce quinze titres est profondément marqué par cette esthétique. En empruntant à MF Doom, Lord Finesse ou J Dilla quelques instrus passés à la postérité, il rend la référence – voire l’hommage – encore plus explicite. Sans faire tâche, les compositions maison orchestrées par Chuck Strangers sonnent un cran en-dessous de cette sélection aux petits oignons.
Le rap du petit Joey regorge, lui aussi, de références aux cadors du genre, à ceux qui tenaient le haut du pavé à la fin des années quatre-vingt-dix. Il y a une technique de flow et des intonations qui rappellent notamment Big L et le Nasir Jones d’Illmatic. Mais aussi des paroles pleines de clins d’œil assez explicites. Le « Got to make a song cry » de « Penny Royal » lorgne vers Hova autant que ce « I’m out for presidents to represent me » de « Hardknock » rappelle Nas. Difficile de ne pas voir également le masque de MF Doom quand il claque un « Young villain hop up on the track and the track doomed » sur « From daTomb$ ». Les premières secondes du clip de « Wave » – même radio réveil, même sortie du lit difficile – font également écho au clip de « Put it on » de feu Big L.
Adossées les unes aux autres, toutes ces touches forment un portrait vintage. Avec pas mal d’egotrip et un goût assumé pour l’authenticité – caractéristique forte de l’avant fin de siècle – Joey Bada$$ joue sur la fibre nostalgique. Une nostalgie pour une époque qu’il n’a pas pleinement connu. Mais on n’a jamais fait de bons disques avec uniquement de la nostalgie. Et la qualité du filtre n’a jamais fait une bonne photo et encore moins un bon album. Sauf que ces influences sont pleinement digérées et au-delà de cet aspect daté, 1999 déborde de fraicheur, avec l’innocence et la fougue d’une bande de jeunes cons.
Le collectif du dur à cuire, Progressive Era, ressemble un peu au groupe de rap que tu aurais aimé avoir dans ton lycée. En bien meilleur. Tentaculaire, mais avec (surtout) CJ Fly et (aussi) Capital Steez en bons seconds. 1999 reste néanmoins l’album de Joey, le plus avancé et le plus tranchant d’un groupe en devenir. Cohérente, bien menée, cette première mixtape devait être une présentation. Elle sonne en réalité comme une petite démonstration. Pas éclatante, pas prétentieuse mais très bien exécutée.
Avec un œil lorgnant vers le passé, un autre dans son quotidien, Joey Bada$$ s’inscrit pleinement dans son époque. Le succès éclair – mais pas volé – de 1999 est à l’image de cette période où l’on peut passer de l’anonymat à la notoriété mondiale en un temps record. S’il semble difficile de prévoir la suite, on peut déjà pleinement se délecter de ce que l’on a : une très bonne mixtape.
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