Médine
Jihad
Jihad, deuxième album du havrais Medine. Sous-titre : « Le plus grand combat est contre soi-même. »
Notes sur un bout de feuille… Jihad : combat spirituel, effort sur le chemin de Dieu. La traduction plus usuelle de « jihad » par « guerre sainte » est moins exacte. Elle ne permet pas de traduire ce verset essentiel du Coran : « Djihad al-aoual djihad an-nafs. » « Le premier combat spirituel est le combat contre soi-même. »
« De nombreux auteurs spirituels, sunnites et shi‘ites, insistant sur le sens même du mot, enseignent que le premier « effort » est la lutte à exercer contre soi-même et ses passions, et contre tout mal moral au sein de la communauté. C’est là « le grand djihad » (al-djihad al-kabir). »
Louis Gardet, Encyclopédie Universalis
« Dans l’islam, le premier combat spirituel, le premier djihad, c’est le combat contre soi-même. C’est bien vu, parce que la nature humaine est à géométrie variable : le « nafs », le soi, doit être contrôlé. Je ne sais pas si je peux dire ça, j’ai peur d’être mal compris, mais tous les jours, je suis en djihad. Ça veut dire que, devant une situation, je vais me dire : « Ça, c’est bien ; ça, c’est pas bien ». Il n’y a aucune imagerie guerrière derrière tout ça. C’est d’abord une idée de maîtrise et de contrôle. »
Akhenaton, dans le livre Marseille, énergies et frustrations de Baptiste Lanaspeze, Éditions Autrement, 2006.
« Les players disent que la vie est une pute. Je suis un guerrier, je la considère comme une lutte. »
Ali – ‘Préviens les autres’ (Chaos et Harmonie, 2005)
Jihad.
Medine fait du rap martial. Du rap qui motive, à l’image du saignant ‘Victory’. Du rap exigeant et qui exige – de lui-même et des auditeurs – incitant au retour sur soi, à la ré-flexion et à la prise de conscience. Critiquer l’Occident islamophobe, « parler de ce qui ne va pas « , d’accord, c’est « son boulot » (‘Médine’). Mais ne pas oublier qu’ « avant d’être un loup pour l’homme, l’homme est un loup pour lui même » (‘Entre loups’) et que la guerre est plus intérieure que contre autrui. Alors, hanté par ces « voix du passé portées par le vent mais absentes des manuels » (‘Écoute’), Medine lutte et raconte ce combat, la recherche de la sérénité contre la colère, le support qu’est sa foi, et son perpétuel ‘besoin de résolution’, sur des productions à la fois simples et quasi-cinématographiques composées par Proof, excellentes mais reléguées au second plan par les prestations rageuses du MC.
« Dès lors je mène la plus immense bataille contre moi-même parce qu’on élève les plus puissants remparts au fond de soi-même. »
Sako – ‘Prisons’ (Sincèrement, de Chiens de Paille, 2004)
Medine gifle. Par son flow presque rigide, qui martèle ses phrases comme tombent des sentences. Par sa voix éraillée et agressive – « c’est pas un chat que j’ai dans la gorge mais un tigre enragé alors je le crache avant de finir allongé« . Certains tiquent, trouvent l’ensemble trop scolaire et braillard. Mais c’est de cette forme rêche, de ces « dérapages d’énervé couchés sur une page arrachée« , que naît la force du rap de Medine, son intensité. Comme une colère contenue trop longtemps qui explose en mots plutôt qu’en coups. Un rap érudit, plein de références à l’Histoire, plein d’histoires, et tout terrain : egotrip, morceaux sur la boxe, sur lui-même, sur la nature humaine, sur les femmes, storytelling (la série des « Enfants du destin », poursuivie ici avec ‘Petit Cheval’ ; ou ‘Du Panjshir à Harlem’, sur les parcours du Commandant Massoud et de Malcolm X)… A un moment ou à un autre, au détour d’un couplet (comme celui de Lino sur ‘Poussière de guerre’, mémorable) ou d’un refrain, à la première écoute ou à la dixième, tous les morceaux de Jihad finissent par coller la chair de poule.
Pas de commentaire