Busdriver
Jhelli Beam
Le goût de Busdriver pour l’expérimentation vire carrément à la préscience. Quelques mois avant la mort de Michael Jackson, le Californien donnait à son dernier disque un titre contrepèterie en forme d’hommage involontaire au King décati. Pour autant, la musique escarpée de Busdriver reste à l’opposé de la pop tubesque de l’ex Jackson Five. Le pondéreux Jhelli Beam recycle les ingrédients habituels de Busdriver –pas si imprévisible qu’il ne veut le faire croire- : des mesures débitées au kilomètre et des beats saturés pour un rendu à peine plus digeste qu’une barbe à papa à la chantilly. Et si la faconde filandreuse de Busdriver abrite toujours une richesse brute, le bonhomme surprend de moins en moins.
Premier constat : Busdriver a bien fait les choses, notamment en recrutant la fine fleur des producteurs underground de Los Angeles. La trinité Nobody-Daedelus-Omid livre des productions tourmentées et broussailleuses, quasi psychédéliques, mais souvent efficaces. Busdriver, revenu à une épure rap après l’intermède Roadkillovercoat, parvient à couler son flow espiègle dans chacune des productions grâce à une technique élastique. Pour dire quoi ? Beaucoup et peu de choses à la fois. Le Californien avale les rimes avec un appétit rabelaisien. ‘ Quebec and back’, récit d’une virée au Canada, ‘Least favorite rapper’, ou ‘ Unsafe Sextet/Gilded hearts’ comptent parmi les réussites de l’album.
Problème : sa vélocité, ajoutée à une écriture tortueuse enchevêtrée de références obscures, contribue par endroits à perdre l’auditeur. Même en s’accrochant au train d’enfer imprimé par Busdriver, l’amateur francophone, lui, est vite largué. Qu’importe, Busdriver tire en partie son charme de son imperméabilité. L’imperméabilité de Busdriver est également thématique. Le freak MC continue à creuser le sillon camusien de l’absurde : « Conscious rap failed us« , proclame-t-il. Son penchant pathologique pour le bizarroïde semble masquer une gravité rarement formulée, mais toujours latente.
Quoi qu’il en soit, le baroque Busdriver n’a pas résolu sa principale carence : son flow torrentiel ne ménage aucun répit à l’auditeur groggy. Mais de même qu’il ne viendrait à l’esprit de personne de s’enfiler le dictionnaire de la première à la dernière page, Jhelly Beam doit être écouté par petites bouffées. D’autant que certains morceaux sont dispensables, à commencer par le single ‘ Me-time’, qui sonne comme un écho affaibli à ‘ Imaginary Places (Temporary Forever) ‘, jadis popularisé par le jeu-vidéo Tony Hawk. On aurait aimé que le déferlement ininterrompu soit entrecoupé de morceaux moins supersoniques, le temps de reprendre son souffle. On en vient à bénir les invités qui brisent par endroits la monotonie.
D’autres détails dérangent. Notamment la posture arty qu’il conserve depuis ses débuts, au milieu des années 1990. Son excentricité bien calculée se lit jusque dans l’artwork, relativement hideux, tandis que Roadkillovercoat était un joli objet. Passons. Après tout, la scène rap n’a toujours été qu’un théâtre où chacun joue son rôle jusqu’à la démesure. En fin de compte, si Busdriver continue à cultiver son personnage atypique, il parvient de moins en moins à étonner l’auditeur. La marginalité n’est pas toujours un gage d’originalité. Le Califonien semble désormais condamné à se réinventer pour son prochain album.
Toujours exigeant – parfois jusqu’aux confins du supportable-, le Woody Allen du rap, qui se vante de vendre plus de disques en France qu’aux États-Unis, poursuit avec son huitième album sa carrière souterraine. Faut-il s’en plaindre ? Javellisée et débarrassée de ses aspérités, sa musique perdrait immédiatement son intérêt. Busdriver n’affolera probablement jamais les charts. Sa musique se savoure comme un plaisir solitaire. Et comme un plaisir solitaire, en abuser peut rendre sourd.
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