Zuukou Mayzie
J.M.U.A.Z
Il est un monde ailleurs, un monde nulle part, où vivent les enfants perdus. Qui n’est pas tombé du landau ne saurait entrapercevoir cette autre réalité. Celui qui n’est pas passé par la fenêtre une fois la nuit tombée ne sait rien de cet univers. Zuukou Mayzie est un de ces jeunes audacieux qui ont franchi les murailles mentales et se baladent sans boussole sur leur propre île de Neverland.
Quand Zuukou le BG se promène dans le monde qu’il a créé, c’est pour échapper à l’autre. Tout au long de son nouvel EP J.M.U.A.Z (J’ai mangé un autre Zuukou), l’artiste déambule dans un paysage onirique. Plein de couleurs et de douceur, c’est un monde que l’on voudrait ne jamais voir abîmé. Sans heurts, sans coups, sans fracas ni fatras… Mais c’est sans compter les cœurs qui battent et les amours qui tombent. Il y a toujours une Wendy ou une Clochette pour que les étoiles se fassent larmes. Ces sirènes qui le traitent de « connard » et de « gros lard » hantent les chansons de Zuukou Mayzie, mieux encore, elles les habitent de « Renoi mi-nippone » à « Yamanote Line ». Il a beau se la jouer, elles se jouent de lui la plupart du temps, l’amenant paisiblement à la déprime. Donc Zuukou s’insulte et s’oublie dans une flasque : « J’passe des soirées de nul en me convaincant que j’suis un nul. »
D’apparence léger, J.M.U.A.Z porte en lui bien des peines. L’EP raconte les histoires extaordinaires d’un garçon séducteur et décevant, qui tue le temps assis au sol devant des anime et buvant du sirop pour la toux comme s’il guérissait les maux de cœur. Pour voir son monde il ferme les yeux, d’ailleurs la piste instrumentale signée Tropical ice ne s’intitule-t-elle pas « Pour dormir » ? Une musique aux allures de berceuse qui trouve parfaitement sa place parmi l’ensemble des productions de l’EP, dont certaines sonnent presque comme régressives, à l’instar de « Baby gurl » que l’on croirait née du xylophone d’un bambin. Il ne faut pourtant pas s’y tromper, l’écrin sonore concocté par Risky Business, www., Clubkelly, Tropical Ice ou Flem est sophistiqué, délicat, loin du hasard d’un nourrisson tapant sur ses jouets musicaux. C’est bien le rappeur lui-même qui joue à l’enfant ici. Il joue tout court d’ailleurs.
Zuukou Mayzie se voit comme un « mini môme » pilotant des voitures téléguidées en attendant sa « supergova » dans sa « supermaison avec sa supergo ». Trop immature pour être fidèle, il s’échappe sans arrêt. Incapable de rester sur le sofa à dorloter une seule femme, il court vers la salle de jeux où des choses merveilleuses se créent alors. Tout est permis là-bas, quand le BG ne conduit pas des trains sur la ligne Yamanote, il chevauche des dragons avec Chihiro. Willy Wonka offre les friandises, et jamais Woody ne se fait abandonner par « cet enculé d’Andy [qui] l’a jeté comme une vieille chaussette pourrie » (« Jupiter Yiyeah »). Tournure de phrase très enfantine qui résume à elle seule tout ce pan régressif de JMUAZ. Tout se passe bien quand Zuukou joue avec les « vingt cons dans [sa] tête. »
Piste sept, Peter Pan devient Peter Parker. Zuukou Mayzie se fait Zuukoeur Parker. « Zuukoeur Parker qui es-tu ? Zuukoeur Parker te caches-tu? » Qui est-il ? Un jeune désinvolte surchargé en responsabilités. Où est-il ? Dans le vrai monde, celui qui est sombre; il a abandonné son royaume céleste pour faire le bien sur Terre. Et sorti de la salle de jeux, ce qu’il croise n’a plus rien d’une nursery délicate et chaude. Il y a des créatures maléfiques, des Capitaine Crochet, des Nazgûl, des Siths, les pommes ne sont plus d’amour, les enfants font pipi au lit par peur des « foufous »… C’est tout ce réel obscur que l’on trouve au fond des prunelles de Zuukou le BG. S’il nous chante gentiment des comptines hédonistes, ce n’est que pour cacher ce qu’il y a sous son Neverland.
Au fond, J.M.U.A.Z n’est qu’une affaire d’illusions. C’est un ensemble de tours de passe-passe. Les cœurs purs voient dans cette magie une respiration bienvenue, un instant d’éther dans le grand sablier du monde. Les enfants perdus eux, savent qu’il ne s’agit que de prestidigitation… L’artiste est un menteur, et ses numéros ne sont rien que des ruses.
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