Classique

J Dilla
Donuts

Stones Throw Records - 2006

Evoquer J Dilla aujourd’hui n’est pas une tâche facile. Parti rejoindre l’au-delà, physiquement cette fois, James Yancey aura indéniablement marqué les dix dernières années. Et au-delà de toutes les interrogations sur le bien-fondé des (nombreuses ?) sorties post-mortuaires à venir, ouvrons grandes les mirettes et reconnaissons qu’en quittant ces lieux il laisse derrière lui un héritage musical certain et une discographie pour le moins vaste, méritant une (nouvelle) exploration minutieuse.

Grand orchestrateur de Slum Village jusqu’à son départ, membre du collectif The Ummah, de The Soulquarians, moitié de Jaylib avec le loopdigga Madlib, producteur solo à l’origine d’une quantité quasi-infinie de classiques pour ATCQ, De La Soul, The Pharcyde, Busta Rhymes ou Common, Jay Dee aura multiplié casquettes et expériences plus ou moins longues et heureuses. Le tout avec une diversité l’affranchissant à terme d’un paquet d’étiquettes réductrices.

Alors sans verser dans le larmoyant ni dans le bilan de fin de carrière, admettons que cet album sorti quelques jours après son triste décès prend du coup forcement une signification particulière. Ces morceaux composés en partie sur son lit d’hôpital pourraient même contribuer à lui donner une dimension quasi-christique, son auteur rejoignant au passage le panthéon des icônes intouchables (et c’est bien là le seul privilège enviable aux mortels passés six pieds sous terre).

Entièrement instrumental, et à ce titre plus ou moins suite de « Welcome to Detroit » et des « Instrumental Series », mené du début à la fin par l’ex-Jay Dee, « Donuts » désarçonne d’emblée par son format. Fort d’une trentaine de beats enchaînés parfois brutalement – mais dépassant péniblement le cap de la minute trente -, « Donuts » prend des allures de mosaïque. Une mosaïque où les boucles s’enchevêtrent et se succèdent régulièrement dans un medley détonant.

Devenu progressivement maestro de la MPC grâce aux conseils avisés d’Amp Fiddler, Dilla s’affranchit ici, une nouvelle fois, des étiquettes musicales pour trouver l’inspiration. Et s’il reprend néanmoins plutôt généreusement des standards de soul dans ses compositions (citons Stevie Wonder, The Delfonics, The Isley Brothers ou Eddie Kendricks), il juxtapose aussi les atmosphères avec un art du contre-pied que n’aurait pas renié Safet Susic.

Le casque enfoncé jusqu’aux oreilles, les électrodes branchées sur le cerveau d’un esprit foncièrement créatif, on passe par tous les sentiments. Le cœur serré sur ‘U-Love’, ‘Bye’, ‘One for Ghost’, en pleine explosion jouissive sur ‘The New’, ‘Two can win’, épris d’un contagieux sentiment d’apaisement sur l’aérien ‘Time: the donut of the heart’ ou l’hypnotique ‘Last Donut of the night’. Aussi instrumental soit-il, « Donuts » transpire d’émotions. Fortes, diverses et palpables.

Particulièrement jouissif par instants, « Donuts » aura marqué le sillon vinylique de cette année 2006 tout en y laissant un frustrant sentiment d’inachevé. Bien qu’imparfaite, cette dernière envolée instrumentale demeure empreinte d’une certaine humanité, dépassant le simple cadre musical. Mais coupons court à ces débats d’esthètes, vu qu’il n’y a plus aujourd’hui de porte assez grande pour offrir une sortie à la hauteur du personnage. Ca ne fait décidément plus aucun doute : les meilleurs partent bien les premiers.

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