Prince Paul
Itstrumental
Le nouvel album de Prince Paul, Itstrumental, s’inscrit dans la continuité d’un autre disque du même auteur sorti voici quelques années : Psychoanalysis (What Is It?). Disque de rap ? Pas vraiment. Disque instrumental ? Pas vraiment non plus. Entre les deux se faufile une fois encore Prince Paul, réalisant ce qu’il appelle lui-même peu sérieusement une collection d’interludes. Comprendre un vaste foutoir issu de l’esprit débridé et – il veut toujours nous en convaincre – fou du producteur touche-à-tout.
Que toutes choses dans cet album soient nées du cerveau de Prince Paul ne surprend guère. Les thèmes abordés ainsi que la façon, le ton sur lequel ceux-ci le sont n’ont effectivement rien de nouveau pour qui connaît son œuvre passée. Toujours les mêmes obsessions, les mêmes rengaines dont deux des plus flagrantes sont une fascination toujours intacte pour la violence ainsi qu’une incroyable attraction-répulsion à l’égard du sexe opposé. Déjà au centre de Psychoanalysis, ces dérèglements, factices ou non, réapparaissent massivement sur Itstrumental.
Si l’un des titres se nomme ‘My Friend The Popmaster’ (avant tout en référence à Black Italiano the Popmaster), peut-être est-il possible d’envisager les prestations de Prince Paul comme celles d’une marionnette (de son). Une marionnette qui musicalement se brisa en petits morceaux vers le milieu des années 90 et qui, aujourd’hui, tente tant bien que mal de recoller les morceaux. De restituer ce qui, pour Prince Paul, a survécu d’un choc terrible des générations dans le rap. D’où quelques albums comme celui-ci, bricolés avec trois fois rien, dans lesquels Paul fait avec ce qu’il a (c’est-à-dire pas grand chose) en essayant obstinément de repousser les limites de la créativité. C’est certain, peu en sont capables, mais Prince Paul oui, fort de son talent de musicien mais aussi de sa personnalité.
La satire et la farce ne sont jamais bien loin du bonhomme : de l’hymne ragga goinfre… à une spécialité culinaire de Boston (‘Boston Top’) aux samples diaboliquement inquiétants… de mots d’espagnol (‘What Are You Afraid Of ?’) en passant par les pleurnicheries masculines outrancières de ‘The Night My Girlfriend Left Me’. On peut aussi citer l’agencement fort ironique des samples de voix dans le final du même morceau… Un second degré incessant auquel le prince nous a habitué, peut-être en partie hérité de ses longues et riches années de collaboration avec les joyeux drilles De La Soul ?! Depuis longtemps expert des samples délivrés en strates – héritage, cette fois certain, de l’époque De La Soul -, Prince Paul a l’audace de ne plus utiliser cette technique à simples fins de musicalité. Le second objectif étant pour lui de multiplier les niveaux (ou degrés) de lecture de ses morceaux. Ceci leur confère donc une grande richesse nécessitant qu’on les écoute à maintes reprises avant d’en saisir chaque subtilité.
Vous avez écouté l’album ? Regardez maintenant plus en détail la jaquette. Voyez ce qu’elle a de vicieuse : « People searching for peace of mind though…Itstrumental » est-il inscrit. Autant vendre des cachets de LSD enrobés dans du papier bonbon. En effet, l’objectif du producteur semble être tout autre que le concept habituel des albums instrumentaux : procurer sérénité et tranquillité d’esprit à l’auditeur. Au contraire ici on bouscule, on provoque sans cesse. En témoigne cet « Inside Your Brain » qui confine plus à un viol de l’intimité mentale qu’à un glissement zen.
Certes, ça n’est pas comme cela qu’on crée des chef d’œuvre, qu’on se met le maximum de public dans la poche, mais quelle joie tout de même de trouver encore des artistes assez frondeurs pour faire ce qu’ils veulent avec ce qu’ils peuvent. Et même si un certain nombre de morceaux d’Itstrumental sont anecdotiques, il y a dans « Yes, I Do Love Them Ho’s ! », « I Want You (I’m an 80’s man) » ou « And The Winner Is ? » de quoi s’extasier et nous faire patienter jusqu’à ce que « le prince parmi les voleurs« , le « king de la bricole » ne revienne une fois encore jouer les apprenti-producteur.
Pas de commentaire