DMX
It’s Dark and Hell is Hot
Si Earl Simmons était un personnage de cinéma, ce serait Bud White, le flic sanguin et ténébreux de « L.A. Confidential », avançant tant bien que mal avec son lourd passé en bandoulière. Un animal ? Facile : un pit ou un rotweiller – la bave aux lèvres, déchiqueteur de jugulaires, du genre à ne jamais lâcher prise. Un parfum ? Celui du souffre, le même qui semble émerger de la pochette ocre de son premier opus. Pour DMX, le rap n’est pas un jeu mais une lutte à mort. Il suffit d’écouter ses albums pour le comprendre.
« I want the money, give me the honeys with big asses, the most expensive champagne you got in big glasses. » (‘Stop being greedy’, 1998)
« Home of the brave, my home is a cage and I’m a slave ’til my home is the grave » (‘Ruff Ryders’ Anthem’, 1998)
« The dark, the light. My heart, the fight. The wrong, the right. It’s gone, aight ! » (‘Who we be’, 2001)
A la fin des années quatre-vingt dix, alors que le rap s’adoucit et se clubise de plus en plus, le Dark Man X pète les scores avec une musique brute et crue, raw & uncut. Pleine de bruit(s), de cris et de fureur. Matérialiste dans le fond, mais blessée dans son ego et ingérable. Le rêve et le cauchemar américains réunis en un seul homme. X recherche la paix en prônant la guerre ; il veut Dieu et le fric, les filles à gros culs bien bombés et la rédemption. Résultat : un dédoublement de personnalité quasi maladif. Pas la fausse schizophrénie surjouée, mais le déchirement intérieur, le vrai, que beaucoup de titres de « It’s dark and Hell is hot » traduisent (mises en scènes, changements de voix, prières, discussions avec son double ou avec Dieu). La joie et l’optimisme sont bannis, et ce premier album est le plus sombre de toute la carrière de DMX, pourtant bien éloignée du Daisy Age.
Pour tout exploser et traumatiser les esprits des petits Français plantés devant les chaînes musicales, il suffira de deux clips. ‘Ruff Ryders’ Anthem’ et ‘Stop being greedy’ : des grosses bécanes, des quads, des meutes de chiens, des fenêtres défoncées ; la violence transpire des images, du flow, des instrus. Le choc est rude. La découverte de l’album, en cette année de coupe du monde, laisse sur le cul. De son ‘Intro’, incroyable mise sous pression de l’auditeur, à ‘Niggaz done started something’, invitant Mase et les Lox en guise de conclusion, « It’s dark and Hell is hot », appuyé par les productions impeccables des Ruff Ryders affiliates Dame Grease et PK, ne connaît pas de temps mort. Même lorsque X rappe sur un sample cramé de Phil Collins (‘I can feel it’), il troue les tympans.
« How can I maintain with mad shit on my brain ?, se demandait Earl Simmons. Torturé, c’est en devenant le Dark Man X qu’il combattit avec ses démons. En rappant les nuits de pleine lune, toujours sur le fil du rasoir et « trapped inside a cage ». Avec Prodigy, il est sans doute le rappeur qui aura su le mieux retranscrire la souffrance.
En 1998, le rap américain était orphelin de leaders au potentiel commercial. 2Pac et Biggie venaient de se faire plomber. DMX, après un paquet d’années passées à traîner dans les couloirs du rap new-yorkais, arrivait à point. Une grande gueule incontrôlable, des rugissements incessants, une imagerie de mec à ne pas emmerder et, en plus, une capacité à adoucir le ton, à créer des tubes, qu’ils soient hardcore (‘Ruff Ryders’ Anthem’, ‘Get At Me Dog’, ‘Stop being greedy’) ou laidback (‘How’s it going down’). Le chien de Yonkers avait ce qu’il fallait pour cartonner.
Ce sera le cas. « It’s dark and Hell is hot », malgré ses airs de journal d’un damné décidé à en découdre, finira au sommet des charts. Ses successeurs suivront le même chemin. Mais DMX restera toujours un artiste titubant sur la frontière ténue entre raison et folie.
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