Mobb Deep
Infamy
Il fut un temps, pas si lointain, où la touche Mobb Deep était un standard dans le rap. Prodigy et Havoc crachaient leurs flow rugueux sur les productions sombres et poussiéreuses de ce dernier. C’était l’époque des classiques : The Infamous… et Hell on earth. En 2000, Prodigy s’en était très bien sorti avec son solide album solo, « HNIC », qui brillait notamment par la présence de producteurs en grande forme du calibre d’Alchemist, Just Blaze ou EZ Elpee. Mais depuis, rien ne va plus : en délicatesse avec Loud Records, et avec une street credibility sérieusement compromise depuis ce fameux Summer Jam où Jay-Z montra la photo d’un juvénile Prodigy en tenue de ballerine, le groupe semble peiner à renouveler une formule qui a inspiré nombre de rappeurs des deux côtés de l’Atlantique.
Infamy n’est que la confirmation de leur essoufflement, et vu que le duo semble plus à la recherche d’un hit facile que d’un classique, l’album s’empêtre dans la médiocrité. C’est en partie la faute à Havoc, qui se charge de la majorité des productions de l’album. Méconnaissable, il réalise des instrus d’une rare indigence : ses tentatives dancefloor (‘Bounce’, ‘Clap’) tombent à plat, tout comme le reste de ses prods, dont on se demande si elles relèvent de l’expérimentation ou correspondent au concept de l’album : l’infâmie. Les beats affichent souvent un électrocardiogramme plat (‘Kill that nigga’, ‘Handcuffs’), et on cherche en vain la présence d’un sample famélique entre deux notes de basse et une nappe de synthé. Havoc -peut-être dans une quête de renouvellement- a oublié la formule qui faisait la réussite du duo : simplicité du beat et de la boucle. Sans la puissance de ses instrus, les voix des deux MC semblent condamnées à errer dans un désert musical. Pour preuve, ‘Hey Luv’ (avec 112), crossover RnB impensable sur un album de Mobb Deep, apparaît comme la prod la plus consistante de Havoc, après 8 titres… Heureusement, à mi-album, le producteur-rappeur a quand même l’orgueil de se réveiller pour lâcher quelques instrus explosives pour l’entêtant ‘The learning (burn)’ et ‘Hurt Niggas’. Dépouillé, sombre, froid et efficace.
Les autres concepteurs de l’album le surclassent facilement. Ce sont donc Scott Storch, EZ Elpee et l’incontournable Alchemist qui endossent le rôle de sauveurs d’album. Seul ce dernier trouve l’alchimie sonore qui convient pour les deux MC’s, avec les trompettes épiques de ‘Get at me’. Ironiquement, le son d’Havoc ressemble à s’y méprendre à du Alchemist quand il lâche enfin la bombe de l’album, ‘Nothing like home’ : avec un beat simple qui accompagne une boucle de soul redoutable (Lenny Williams, ‘Cause i love you’), on retrouve enfin la formule secrète du producteur. Mention spéciale à EZ Elpee, déjà auteur du morceau ‘HNIC’, qui réalise le très bon ‘Get away’ et son sample envoûtant. Quant au sous-estimé Scott Storch, homme de l’ombre de Dr Dre, il s’en sort bien avec ‘Live foul’ ainsi que le seul bon crossover de l’album : ‘There I go again’ avec Ron Isley (quoique 6mn50, c’est un peu longuet quand même).
Au micro, les deux MC restent égaux à eux-mêmes : Havoc est à peine plus énergique que ses beats, et Prodigy semble plus dépressif que jamais, peinant à convaincre entre cabotinage gangsta et romantisme de circonstance. Infamy est donc un album largement dispensable. A moins d’être un fan acharné du Queensbridge, on ne peut que être désolé devant un tel naufrage, empêché tant bien que mal par cinq/six morceaux objectivement bons. Le duo doit encore un album à Loud Records, espérons qu’ils quittent le label en sauvant l’honneur…
Pas de commentaire