Rocé
Identité en crescendo
« Nous sommes français en freelance, étrangers en puissance. L’inconscient des gens, même de bonne foi, nous voue méfiance. Ce pays est presque le nôtre – mais seulement « presque », le temps tout simplement d’un changement de veste. »
(Nikkfurie (La Caution), ‘Peines de Maures’, 2005)
« L’Occident laissera-t-il l’universel lui échapper pour devenir enfin ce qu’il est supposé être, ce corpus et ce discours dans lesquels toute l’humanité pourrait se reconnaître ? (…) Les questionnements des Suds, les volontés qu’on y perçoit de faire partie d’un monde qui n’aurait pas été exclusivement pensé ailleurs, font sans doute partie de cette réécriture. Mais, des deux côtés du miroir, les immortels gardiens des temples bougent encore et n’ont pas renoncé à dire ce que le monde doit être, ou à vouloir s’en retrancher. »
(Sophie Bessis, L’Occident et les autres, histoire d’une suprématie, 2001, p. 334)
10.
« Mulâtre a pour féminin mulâtresse (Acad.) : Une jolie mulâtresse.
Adjectivement, on dit mulâtre pour les deux genres : Un domestique mulâtre. Une servante mulâtre (Acad.)
Noir – nègre. – Pour désigner les peuples de race noire, ces deux mots sont synonymes : Un grand Noir. Un pauvre nègre. Une belle négresse. Une servante noire.
Néanmoins, le second terme (nègre) étant considéré par les Noirs eux-mêmes comme péjoratif, on emploie le premier de préférence. (V. aussi INDIEN-HINDOU.)
NOTA. – Il est évident que cette remarque n’est pas valable pour les mots ou expressions figés dans lesquels entre le mot nègre, tels que tête-de-nègre (couleur), faire le nègre, travailler comme un nègre, etc. »
(Extraits du Dictionnaire Larousse des difficultés de la langue française, éd. 2006, ouvrage couronné par l’Académie française)
9.
« Mon ventre est lourd, serré et ma haine reste feutrée, feutrée par l’hypocrisie qui nous entoure. Tant de clichés du ciné à l’artistique alentour, tout est dit même sans discours. Les clichés laissent figé et sur certains pèsent si lourd… J’ai croisé le Roi Lion dans sa savane et il n’y a que le singe qui a l’accent africain ; j’ai croisé Shrek et son âne, c’est l’âne qui a l’accent antillais – je garde ça dans l’âme, si bien que dans ma tête la savane est en feu. »
(Rocé, ‘Besoin d’oxygène’, in Identité en crescendo, 2006)
8.
« J’ai eu l’occasion de retourner en France et je constate toujours que si les Français ont beaucoup oublié, ils n’ont souvent rien appris, rien en tout cas qui puisse les rapprocher de nous. »
(Fadel Dia, professeur émérite de géographie né au Sénégal en 1939, A mes chers parents gaulois…, 2007, p. 12)
7.
« Je m’affirme seul, loin de l’entonnoir intégration qui m’amputerait de mes ancêtres pour que je glisse sans frottement. Détacher ma culture et mon nom pour rentrer dans le rang, c’est l’assimilation et c’est de la mutilation. Et devoir s’intégrer à un pays qui est déjà le sien, c’est flairer, se mordre la queue, donc garder un statut de chien. Quand je ne peux séparer les cultures qui m’ont fait Un, m’en retirer une partie c’est ôter tout l’être humain. »
(Rocé, ‘Le métèque’, in Identité en crescendo, 2006)
6.
« L’Occident s’est créé et s’est infligé deux peurs : le terrorisme et l’immigration. »
(Aminata Traoré, ancienne ministre de la Culture et du Tourisme du Mali, in Bamako d’Abderrahmane Sissako, 2006)
« Terrorisme : terme utilisé pour désigner la violence perpétrée sans l’aval des puissants de ce monde et contre leurs intérêts. »
(Aminata Traoré, Le viol de l’imaginaire, 2002, p. 185)
« Un terroriste ne doit pas être combattu, mais convaincu. »
(Jamel Debbouze, Conversation secrète, France 5, 29 octobre 2006)
5.
« Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu’il y a eu au Vietnam une tête coupée et un oeil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend et qu’au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et « interrogés », de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette lactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent.
Et alors un beau jour, la bourgeoisie est réveillée par un formidable choc en retour : les Gestapos s’affairent, les prisons s’emplissent, les tortionnaires inventent, raffinent, discutent autour des chevalets.
On s’étonne, on s’indigne. On dit : « Comme c’est curieux ! Mais, bah ! C’est le nazisme, ça passera ! » Et on attend, et on espère ; et on se tait à soi-même la vérité, que c’est une barbarie, mais la barbarie suprême, celle qui couronne, celle qui résume la quotidienneté des barbaries ; que c’est du nazisme, oui, mais qu’avant d’en être la victime, on en a été le complice ; que ce nazisme-là, on l’a supporté avant de le subir, on l’a absous, on a fermé l’oeil là-dessus, on l’a légitimé, parce que, jusque-là, il ne s’était appliqué qu’à des peuples non européens ; que ce nazisme là, on l’a cultivé, on en est responsable, et qu’il est sourd, qu’il perce, qu’il goutte, avant de l’engloutir dans ses eaux rougies de toutes les fissures de la civilisation occidentale et chrétienne.
Oui, il vaudrait la peine d’étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d’Hitler et de l’hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXème siècle qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, qu’Hitler l’habite, qu’Hitler est son démon, que s’il vitupère, c’est par manque de logique, et qu’au fond, ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est que l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique.
Et c’est là le grand reproche que j’adresse au pseudo-humanisme : d’avoir trop longtemps rapetissé les droits de l’homme, d’en avoir eu, d’en avoir encore une conception étroite et parcellaire, partielle et partiale et, tout compte fait, sordidement raciste. »
(Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, 1950, p. 12)
4.
« La France a des problèmes de mémoire. Elle connaît Malcolm X mais pas Frantz Fanon, pas le FLN ; connaît les Blacks mais pas les Noirs, diffuse les stories cow-boys et indiennes, mais de la tragédie cow-boys et algérienne faut rien savoir.
Il y a des choses indicibles, c’est pas de l’histoire ancienne. Les Kanaks ? Personne l’enseigne. Massacres, Vendée, Bretagne ? Il y a des choses qui datent. Sur l’esclavage et son règne, on débat pas mais on fête et la fête cache les épaves. Tout le monde dit « Plus jamais ça », mais c’est de la com’ malsaine : les processus restent les mêmes à l’heure où tout le monde en parle. Tout le monde en parle comme d’un cas, une exception inhumaine. Ça rend les choses comme lointaines, et la mémoire devient fable… Les Droits de l’homme étaient là, la République était la même, même si son numéro d’enseigne change comme on change de façade. Elle n’ose pas gratter en elle. Elle refoule et elle s’enchaîne, et tout ce qu’on nous enseigne c’est que l’époque était malade. C’est que l’époque était malade ? Mais tu parles, quand bien même la maladie viendrait d’un système qui encore monte en grade. « Plus jamais ça », « devoir de mémoire », hein ! Et puis quoi ? Quand on garde intacts les liens que la gangrène escalade.
Les humains sont comme des arbres : ils ont des racines aux semelles. Pour certains elles sont lointaines et ceux-là ils en ont marre que de leur lointaine histoire plusieurs versions se démêlent : pour atteindre les deux bouts ils font tout seul leur grand écart. Système assimilatoire qui crée des êtres à problèmes, identités en gruyère, orphelins de leur mémoire. Vu qu’on passe à la passoire les causes de tous nos mystères, nos causes partent, restent les problèmes, et tout ça crée des ignares… Intégration à l’entonnoir qui prône un modèle unique, et pour ceux qui ont cette saleté de chance d’être multiples : « Au revoir » ! Système assimilatoire, amputation des tuniques, amputation à l’identique et mise du voile à l’histoire. Mais l’histoire n’est pas unique, sacrée pour un pays qui se dit laïc. Parfaite, sainte, extrémiste : un Dieu auquel faut croire. Le pays a du mal à regarder ses chapitres comme lui-même : pluriels, multiples. Il nous laisse frêles et limites, avec des problèmes de mémoire. »
(Rocé, ‘Des problèmes de mémoire’, in Identité en crescendo, 2006)
3.
« Mais qu’est que tu veux que je dise d’autre que ce que je suis ? »
(Sako (Chiens de Paille), ‘Maudits soient les yeux fermés’, 1998)
« Ils savent pas si j’aurais dû naître ? Qu’ils aillent se faire baiser, moi je veux devenir ce que j’aurais dû être. »
(Booba (Lunatic), ‘La lettre’, 2000)
2.
« Dans la musique que j’aime écouter, j’aime être réveillé par la caisse claire, j’aime quand je ne réussis pas à comprendre une phrase musicale à la première écoute. Alors mon but était de secouer l’auditeur plutôt que de le laisser se couler dans une mélodie facile. Les samples sont très free. Il y a Antoine Paganotti de la nouvelle formation Magma, groupe de rock progressif. Tout cela est très loin de la new soul et des musiques cool. Je préfère ramener le hardcore au goût du jour. Archie Shepp et Jacques Coursil ont des choses à dire à propos des Blacks Panthers. Le fait de les inviter est un symbole, un message. »
(Rocé, interview publiée le 15 juillet 2006 sur le www.bokson.net )
« Aujourd’hui, bien qu’on ait tout un discours contre le racisme, de fait aucune déconstruction n’a été menée à grande échelle. Et tous les mouvements ont tendance à focaliser sur la personne qui est l’objet de discrimination, pas sur la personne qui discrimine et sur le phénomène de la discrimination lui-même. »
(Djohar a.k.a. Raqal le Requin, co-auteure des textes d’Identité en crescendo, extrait de l’interview publiée le 30 octobre 2006 sur l’Abcdr)
1.
« Nos pays lointains sont loin mais fiers comme une mère patrie voyant son enfant parti mais qui jamais ne l’oublie, qui défie l’intégration si d’amnésie il s’agit. Rentre dans la patrie si c’est pour en être grandi… Moi, j’ai des pays cassés et ce ne sont pas des prothèses. Liés par parenté, je ne peux les mettre entre parenthèses. Et personne n’a à me dire le pied sur lequel je danse. Qu’elle m’accepte comme être multiple et je chanterai la France. »
(Rocé, ‘Je chante la France’, in Identité en crescendo, 2006)
0.
« Avec ma tête de métèque, j’attire les ethnophileux à défaut d’attirer les envieux, les ventes, les Skyrockeux. Ils me veulent comme leur bifteck, à force c’est horripileux de converser avec ces malotrus… Du haut de leur école de commerce, ils disent comment je dois être heureux. Pour eux, mon rap est boutonneux, macère dans son pus de sérieux, trop rugueux face à un public heureux. Personne ne voudrait rentrer dans le jeu et quand changera le vent ils me diront : « Mec, sois plus militant maintenant que les gens veulent du grand, du hardcore et du conscient… » Ce qui fait peur c’est que dans un sens ils ont leurs raisons, vu que tout le monde applaudit ce que personne n’entend vraiment. »
(Rocé, ‘Ce que personne n’entend vraiment’, in Identité en crescendo, 2006)
Pas de commentaire