Casey
Hostile au stylo
Rétrospective /// De 1995 à 2006.
Soit en gros une dizaine d’années, qui ont permis à la rappeuse de Blanc-Mesnil d’imposer sa griffe et de marquer le rap français de ses couplets débordant d’allitérations et d’assonances.
« Une voix qui se-cau franco, hors des consensus, qui souvent élabore ses textes dans des abribus. » (‘3.30 pour un freestyle’, sur la compilation L432)
Dix ans à rapper dans l’indifférence du grand public. Un chemin rapologique underground classique, malgré quelques apparitions sur des projets de plus grande envergure (Première Classe, l’album de La Clinique, celui de La Rumeur, les B.O. de Samouraï et de Trafic d’influence), avec son lot de mix-tapes, de maxis, de featurings et d’inédits dormants dans des tiroirs.
« J’ai cette rime urbaine qui rumine au bout de ma mine, ordonne à mes hormones, laisse dans mes organes cette épaisse violence efficace de hooligan » (‘Comme un couteau dans la plaie’, sur le EP Ennemi de l’ordre.)
Dix ans à rapper grosso modo le même triptyque thématique que ses collègues de La Rumeur : la vie en cité, le fait d’être un Noir en France aujourd’hui (racisme subi, poids du passé, le label « rap de fils d’immigrés »), et le rap. Avec une dimension egotrip néanmoins plus importante que chez Ekoué, Hamé, Philippe et Mourad, notamment dans le cadre des freestyles collectifs (au sein d’Anfalsh ou, plus tôt, du Spécial Homicide). Et toujours ce mélange de rage contenue et d’amertume qui passent par le flow, les intonations et la voix, prenant l’auditeur à la gorge. Une ligne directrice stricte donc, mais nourrie par des qualités d’écriture telles que jamais Casey ne lasse ou ne donne l’impression qu’elle tourne en rond.
La compilation/best-of Hostile au stylo entend résumer ces dix années d’enregistrements épars, en 64 pistes. Se côtoient ainsi freestyles radio et couplets coup de poing posés sur tapes, extraits de concerts, gros classiques squattant aujourd’hui encore les playlists des émissions rap des radios associatives (‘Chacun son raccourci’ avec Ekoué, ‘La parole est mienne’, ‘Décor Bâclé’, ‘La valse des enragés’ toujours avec Ekoué et Less Du Neuf…) et inédits datant de différentes époques, inégaux. On retiendra particulièrement le constat glaçant de ‘C’est l’histoire’, posé sur l’instru du ‘The Point of No Return’ d’Immortal Technique, l’énergique ‘Le Flow’, le rageur ‘A Visage découvert’, les très bons ‘Horreur et Guerre’ avec B.James et ‘Délit de faciès’, mais encore et surtout le terrible ‘Ma Haine’ en compagnie de ses comparses d’Anfalsh B.James et Prodige, qui laisse présager le meilleur quant à l’album « Tragédie d’une trajectoire » annoncé pour la fin de cette année 2006. On restera en revanche plus sceptique sur ‘Ouvre tes yeux’ qui, malgré un bon couplet de Casey, est plombé par le ragga enrhumé et simpliste d’Oxy (« Les Noirs se tuent dans le tto-ghe (…), c’est Babylone qui gouverne (…) wonanawooooo ! ») et sur les autres inédits qui, sans être mauvais, retiennent au final assez peu l’attention.
Le gros défaut de cette compilation reste indéniablement son mix, pour le moins chaotique. On aurait à la limite préféré que le CD ne soit pas mixé (certains débuts de morceaux sont tout simplement saccagés, comme par exemple la première piste ou encore le premier couplet de ‘La Parole est mienne’, inaudible) et que nous soient également épargnés les bruitages bas de gamme, du type sirènes (malgré un joli répertoire : police, pompiers, paquebots…), chaise électrique ou armes à feu qui viennent régulièrement parasiter l’écoute. Le choix de zapper systématiquement les noms de Sheryo et de Navea, anciens membres d’Anfalsh, surprend également, bien qu’il ne s’agisse que d’un détail de second ordre.
Mais ne boudons pas notre plaisir. Pour quiconque ne connaît pas très bien l’œuvre de la meilleure plume féminine du rap français (et d’une des meilleures plumes du rap français tout court), Hostile au Stylo constitue un indispensable rappel des faits, en attendant (de pied ferme) l’album Tragédie d’une Trajectoire. Après l’excellent EP Ennemi de l’ordre, 2006 est décidément une grosse année pour Casey.
« Car je ne me fie qu’à mon orgueil. Et il me semble encore trop fort pour se perdre dans un portefeuille. C’est intègre que je compte abriter la famille du besoin, peser lourd pour aller plus loin… » (‘Chacun son raccourci’, sur le maxi « A Délivrer d’urgence »)
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