Nature of the Beast
Homeland Security
Homeland Security, obscur premier album de l’obscur groupe Nature of the Beast (après AOTP, place à NOTB), sorti à l’été 2008 sur l’obscur label Secure Records, est probablement passé sous votre radar. Dommage : le disque ne mérite pas l’invisibilité. Bon, bien sûr, on peut finasser. D’abord, l’album souffre d’un mixage un peu limite, disons artisanal, et certains beats émoussés ne claquent pas autant qu’on l’aurait aimé. De l’enregistrement à la pochette réduite au minimum, on devine que c’est fait avec les moyens du bord. Ensuite, il faut bien reconnaître aussi que MarkMyWords n’est pas le plus magnétique des rappeurs. En cause : moins son flow, tout à fait correct (il met ce qu’il faut de punch dans l’excellent ‘Fate Fight Destiny’ et son ambiance de lutte désabusée), ou ses textes, bien foutus (le titre de l’album signale déjà que le groupe est en prise avec son époque), qu’une voix aiguë et un peu nasillarde qui manque de coffre et de charme. Le rappeur de San Diego n’est ni Sage Francis, ni Brother Ali, ni B-Real. On se dit qu’épaulé par un autre rappeur à la voix caverneuse, ça pourrait donner un équilibre intéressant — dommage. Heureusement, il sait s’entourer au bon moment de quelques invités, dont Qwel qui signe le deuxième couplet de ‘All Time Greats’ avec son aisance obstinée habituelle.
Pourquoi alors causer de cet album péniblement sorti de l’underground californien plutôt que d’un autre ? Parce que Homeland Security se tient assez loin des clichés locaux et dégage une bonne patate : comme le suggère la photo de couv’, les mecs sont là pour faire un peu de bruit. Et aussi parce qu’on le sent nourri des meilleures influences. Elles ressortent ici dans l’omniprésence non seulement du sampling, avec une prédilection pour les cordes (‘High Def Audio’ repose essentiellement sur un riff sec et le cut de la voix de Method Man), mais aussi des scratches furieux de DJ Sinn. Dès le crescendo épique de 1’20 qui ouvre ‘Flood Gates’, seule production du Canadien Pen Pointz, on est tout de suite dans le bain. Sans cette présence des platines, l’album perdrait beaucoup de son intérêt et de sa force d’accroche. Mais avec, l’album sort du lot et on se régale à — ou on se creuse la cervelle pour — retrouver les références balancées ainsi à la volée.
Malgré la participation de cinq producteurs, Homeland Security dégage une atmosphère assez homogène, partagée entre des influences tantôt jazz (‘We Ain’t Tryna Lose’, qui scratche OutKast), tantôt plus rock (‘Gun Powder’). Parmi ces producteurs, Julian Ramirez, qui signe six morceaux, dégaine parfois la grosse boucle de cuivre (‘Ready for war’), ou fait preuve ailleurs d’un sens de l’intro que ne renierait pas Stoupe des Jedi Mind Tricks. Ce dernier aurait probablement piétiné avec moins de scrupules, à coups de grosse caisse, la voix féminine à la fois douce – et un rien flippante – qui débute ‘River Blood’ (un titre de morceau que le même Stoupe ne renierait sûrement pas non plus…) Le tout est vraiment construit comme un album, avec des interludes instrumentaux ou des extraits de films glissés ici et là dans les morceaux.
Dans l’ensemble, l’album part sur un style plutôt rugueux et tendu, et on glisse vers une seconde partie plus cool, sans toutefois le côté pépère des People under the Stairs (Californiens eux aussi), à l’image de ‘When it’s Good’, cordes tranquilles et voix soul, ou de ‘Shark Infested’, guidé par une poignée de notes de piano. ‘Air Tight’ pourrait sortir d’un vieil album d’un autre voisin, DJ Shadow, un jour où il aurait décidé de ne pas laisser une minute de répit à ses platines. ‘Bench to the Bus Stop’ commence par la musique d’un jouet pour enfant qui se détraque au fur et à mesure, accompagnée par le bruit des bombes… Pour le deuxième album, que le groupe espérait pour 2009 (c’est loupé, donc), le duo annonçait un son plus policé. Espérons que leur retard s’explique par l’abandon de cette fausse piste ; c’est un coup à filer tout droit vers des sables mouvants.
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