Jérôme Thomas
Home Studio – The Musical Revolution
« Je dois tout à la technique. »
La technologie est aujourd’hui omniprésente. Elle s’infiltre partout, jusque dans nos relations publiques. Elle rationalise tout ce qui est mis entre ses mains.
Tout, sauf la musique. Bien au contraire, cette dernière prend un malin plaisir à faire la nique à l’évolution globale du monde. A l’heure où tout se doit d’être un produit, la musique se mute en mp3 pirates. Pour une fois, le public tire les ficelles. A l’heure où le travail humain n’existe plus pour son savoir-faire mais pour sa productivité, la musique, elle, réhabilite les artisans. Et ce avec la complicité de la technologie.
Humain et électronique, chaleur des instruments et froideur des machines sont de plus en plus souvent opposés. Mais l’artiste, lui, a préféré poser ses mains sur les hanches de la technologie et a décidé de danser avec elle ; les yeux dans les yeux, dans l’intimité et dans l’ombre de ceux qui manient les mots, loin du tumulte ambiant.
Pendant ce temps, dehors, les échoppes ferment. Mais derrière les façades des immeubles, les home studios pullulent et s’affirment comme les arrières boutiques de la musique de ces vingt dernières années.
Jérôme Thomas, réalisateur du documentaire Home studio – The musical revolution, est parti avec sa caméra dans ces ateliers afin de rencontrer les artisans du son. Il s’est entretenu avec une quarantaine de beatmakers et musiciens, de tous horizons, de toutes influences, mais qui ont tous en commun de travailler chez eux, avec les moyens du bord.
« Je dois tout à la technique« . Ces mots sont en fait ceux d’Animalsons, confessés dans ce reportage tel un aveu plein de modestie, tel un artisan qui se sentirait démuni sans ses outils. Et c’est là que le film de Jérôme Thomas frappe fort. Son documentaire met l’humain au cœur des machines. Il montre que la technologie n’est pas forcement qu’un progrès sauvage plein de démesure mais qu’elle peut aussi s’associer à l’âme d’un artiste. Une partie du public ne s’y est pas trompé puisque la présence d’un beatmaker arrive désormais à justifier à elle seule l’engouement autour d’un album.
Les fétichistes de la MPC, les fanatiques de débats sur l’utilisation de telle ou telle caisse claire sont donc prévenus. Ici, il n y a pas de place pour un didacticiel délivré par Alsoprodby ni l’espoir de récupérer un quelconque secret de fabrication qui font des productions de DJ Mehdi ce qu’elles sont. Le reportage se penche sur le phénomène du home-studio, du financement à la culture du sample (« une musique existe-t-elle sans boucle ? » Crusz) en passant par les relations avec les voisins. Le tout est articulé autour d’une galerie de témoignages d’artistes plus ou moins reconnus (Doctor L, Dee Nasty, Etyl, The Micronauts, Jayhem, Imhotep, Mathilde, Hal, Steady, Rocca…). Le montage en cut est rythmé aussi bien par de nombreux plans de coupe sur les machines de chacun que par des images de concert.
Home studio – the musical revolution apporte donc un éclairage sur ceux qui évoluent parfois (souvent ?) dans la pénombre de chanteurs, groupes ou emcees. Sobre, sans prétention et efficace, le documentaire de Jérôme Thomas a le mérite d’être accessible quitte à parfois flirter avec certaines évidences. La place n’est pas à la polémique mais à la découverte, et le fait d’avoir filmé les intervenants dans leur espace de création installe une complicité avec le spectateur. Les problématiques en filigrane ne sont pas là pour trouver des réponses mais juste pour alimenter une certaine réflexion, ou émuler un certain plaisir.
Alors on pourra reprocher à ce reportage des apparitions parfois trop courtes donc frustrantes, ou encore une approche peut-être trop positive, laissant de côté certaines questions qui auraient mérité d’être plus approfondies. L’exploitation du phénomène par les maisons de disque n’est, par exemple, que très peu évoquée. Mais peu importe, la démarche est humaniste, les images explorent aussi bien la scène que le cocon de chacun, dans un monde qui semble au premier abord froid et stérile car peuplé d’électronique, d’octets, de pads et de raccourcis claviers. Grands noms et quasi-anonymes se côtoient le long de ces 70 minutes, et finalement, chacun dans son atelier s’approprie et sculpte sa propre musique avec les techniques et l’inspiration qui lui sont propres. En plus d’être des artistes, ces « home-studistes » sont aussi des artisans, parfois au service des autres, parfois au seul service de leur art. L’art de créer, l’art de faire, c’est sûrement là que le home-studio a révolutionné la musique : en repoussant encore un peu plus les limites du savoir-faire.
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