Hi-Tek
Hi-Teknology vol.2: The Chip
Une figure de l’intelligentsia au service de la révolution. Un apparatchik de la production musicale. Voici, en substance, les qualificatifs dont on affublait à la fin des années quatre-vingt-dix le jeune Tony Cottrell, producteur de Cincinnati. Peut-être réducteurs, ces quelques commentaires n’étaient – déjà – pas totalement injustifiés.
Fort de ses premiers succès – anonymes – avec Mood (‘Hustle on the Side’, l’album « Doom » en 1997), Hi-Tek est paradoxalement devenu en quelques années un symbole de la scène indépendante new-yorkaise ; la relève incarnée par l’avènement du label Rawkus.
Aux côtés de Talib Kweli et Mos Def (« Black Star »), du seul Talib Kweli (Reflection Eternal), au travers des trois volumes de « Soundbombing » (‘2000 seasons’, ‘1-9-9-9’, ‘On mission’, ‘Crew Deep’) ou tout au long de son premier album solo (« Hi-Teknology »), Hi-Tek a activement participé à creuser un peu plus le sillon d’une certaine vision du rap. Du rap conscient ? L’étiquette est trop usée et incroyablement galvaudée pour être toujours utilisée aujourd’hui. Alors oublions. Considérons seulement qu’il a été le fournisseur officiel de beats pour quelques rappeurs inspirés en quête de respectabilité et de positivité, abonnés aux bonnets en laine et à la bibliothèque.
Déçu par le manque d’investissement de Rawkus autour de son premier album, Hi-Tek quitte finalement le label à la fin 2001. Après ces années de labeur, il change de cap et d’horizon, tournant le dos à une scène indépendante en fin de cycle. Après quelques atermoiements, l’ex-étoile de Rawkus passe finalement du côté obscur de la force. Du côté d’Aftermath.
Conscient que les qualités du passé ne sont jamais définitivement passées, Dr Dre intègre Hi-Tek à son pool de producteurs de haut vol. Des tireurs d’élite assoiffés de reconnaissance et de dollars. Mené de main de maître par ce mythique docteur, particulièrement à l’aise dans les rôles de père spirituel et de directeur artistique expérimenté et incontesté, Aftermath cumule les succès commerciaux à l’échelle planétaire. Eminem, 50 Cent et The Game s’imposent en incontournables, réussissant à surchauffer la planche à billets.
De son côté, Hi-Tek en profite pour se familiariser avec un paquet de nouveaux compagnons de jeu. Il sort progressivement le bleu de chauffe pour l’artillerie lourde des gangsters sur papier glacé, délivrant de sérieuses munitions à 50 Cent (‘Get in my car’, ‘Best Friend’), The Game (‘Runnin’’, ‘Ol’ English’) ou au lieutenant Lloyd Banks (I get high’).
Désormais rompu aux joutes des rouleaux compresseurs d’Aftermath avec un carnet d’adresses aussi impressionnant que la discographie du Godfather of Soul James Brown, Hi-Tek donne finalement une suite au premier Hi-Teknology. Cinq années plus tard, voici « The Chip ».
Le premier extrait de l’album, ‘Where it started at? (N.Y.)’, pose quelques premiers repères loin d’être dénués de sens. Une composition musicale reprenant le ‘Love story’ d’Andy Williams avec derrière quatre porte-drapeaux du rap New-Yorkais. La symbolique est forte. Le décor planté. Jadakiss. Raekwon. Papoose. Talib Kweli. Le navire du rap new-yorkais sombrant en toile de fond, chacun s’emploie à redonner un rôle majeur à la ville fondatrice. L’essai s’avère franchement concluant, promettant au passage de relancer les ventes de minerves et de faire de l’ombre au ‘New York shit’ de Busta Rhymes dans la catégorie des hymnes frondeurs de l’année écoulée.
Passée cette entrée en matière pour le moins jouissive, c’est un véritable tapis rouge qui se déroule à nos pieds avec le défilé d’une sacrée brochette de poids lourds enchaînant les couplets avec plus ou moins de réussite. Si Ghostface confirme que le temps n’a décidément pas d’emprise sur son génie (‘Josephine’), The Game la joue minimum syndical sur le pourtant accrocheur ‘1-800-Homicide’ faisant du coup la part belle à Dion. Un Dion qu’on retrouve tout au long de cet opus, chantonnant jusqu’à plus soif au rythme des inspirations de son mentor.
Maestro unique et omniprésent, Hi-Tek compose tout au long de cet album, son album, un univers musical relativement uniforme et posé, aux évidents relents de soul. Si l’ensemble est indéniablement réussi, on se surprend néanmoins par instants à regretter un certain manque de diversité dans ses productions. Connaissant l’étendue de la palette du bonhomme, un surcroît d’impact matérialisé par un gros single ravageur n’aurait pas forcément été de trop.
Bercé par le rythme de boucles relativement dépouillées, difficile de ne pas détacher également du lot ‘Can we go back’ reconstituant le duo estampillé Rawkus Reflection Eternal, et ‘Keep it moving’ avec l’improbable association Q-Tip/Kurupt. Mais surtout ‘Music for life’, conclusion chargée d’émotion d’un album à la fois charmeur et prévisible. Débuté par un court message d’un J Dilla désormais canonisé, cette dernière envolée sonore place la musique au centre des débats. Nas et Common (surtout) y posent des couplets empreints de positivité et d’une ouverture d’esprit délicieusement utopiste. Sous le charme, conforté dans nos idéaux, la terre se dérobe et nous quittons ces lieux le cœur léger.
Classique dans son approche, brillant dans sa réalisation, « The Chip » s’avère le reflet fidèle des inspirations d’un producteur tout terrain. Une figure référentielle régulièrement convaincante, auteur ici d’un album solide.
Pas de commentaire