Oddateee
Halfway Homeless
« I have got a splitting headache and your stupid hip hop isn’t helping
-It’s not hip hop, it’s electro you prick »
Dialogue issu du film Shaun of the Dead, réalisé par Edgar Wright en 2005.
En 2008, lorsque la mèche de Busy-P rencontre le crâne chauve de Booba pour une opération marketing shootée par Armen himself, la connexion semble étonnante, comme si elle marquait une forme de réconciliation entre deux genres musicaux qui se regarderaient forcément en chiens de faïence. Sauf que derrière Pedro Winter et Elie Yaffa, derrière Ed Banger et Tallac Records, il existe de vraies ramifications entre le rap et la musique électronique, vieilles comme le monde. Ou au moins vieilles comme le hip hop. Des rythmiques appréciées par les smurfeurs aux compositions hallucinées de Nikkfurie en passant par certains tubes de ce nouveau millénaire, les deux mouvements n’ont cessé de s’inspirer l’un de l’autre.
A ce titre, Halfway Homeless paraît avoir été conçu sur un boulevard musical : en mêlant des sonorités rap, électro mais également soul ou jazzy, le disque est un véritable mélange des genres. La collaboration avec Dälek n’y est sûrement pas étrangère si l’on se réfère à Steely Darkglasses, premier album d’Oddateee sorti en 2004, qui n’allait pas dans la même direction. Pour son deuxième projet personnel, le rappeur new yorkais a donc décidé de repousser ses propres limites. Pour quel résultat ?
En juin 2000 sortait Sur un air d’autoroute, film réalisé par Thierry Boscheron avec Sacha Bourdo et Aure Atika dans les rôles principaux. Sacha Bourdo, justement, y campe Jeff, homme au cœur brisé et musicien raté qui se fait embaucher comme agent d’autoroute dans le but de reconquérir Perrine, son ancienne petite amie qui travaille au péage. Malheureusement, dès son premier jour, un accident peu commun va lui arriver : un automobiliste jette un disque par la fenêtre qui va sectionner son oreille gauche. Celle-ci va continuer son chemin, porté par le vent, tandis que Jeff va se rendre compte qu’il continue d’entendre à distance. Il va donc partir à la recherche de son oreille gauche en se laissant guider par les sons qu’il perçoit. Outre le caractère absurde et culotté du scénario, le film mérite d’être vu pour les péripéties de ce musicien, privé d’une partie de son corps à laquelle il tient plus que tout. Intrigue qui prend tout son sens lors d’une scène finale dans laquelle Jeff montre à Perrine sa plus belle création artistique : après avoir été contraint d’analyser la plupart des bruits de l’autoroute, il va y découvrir une nouvelle sensibilité et emmener sa bien-aimée dans un voyage musical inédit. En utilisant le vent qui fait tomber les plots et agite les panneaux de signalisation, les klaxons des automobilistes ou encore les freinages intempestifs de certains conducteurs, Jeff livre sa plus belle composition.
Si Oddatee a ses deux oreilles bien accrochées, il n’empêche que Halfway Homeless, à quelques détails près, ressemble à cette ballade finale. En créant un patchwork musical improbable, ce deuxième album flirte entre l’anarchie la plus totale (‘Pagan baby’) et les trouvailles les plus ingénieuses (‘Not even one’). Au rayon des réussites, on rangera évidemment le morceau introductif, ‘The Odd’ mêlant bruits sourds et sonorités caverneuses. Quelque part entre le EL-P de Fantastic damage dans l’ambition de fusionner différents styles musicaux et MF Doom au niveau de l’interprétation, Oddateee y lance un egotrip affuté. Il en va de même concernant ‘Not even one’, morceau à l’allure souterraine par excellence et emblématique du style d’Oddatee. Le début du morceau fait s’entremêler boom-bap et une espèce de hurlement du gouffre permettant ainsi d’installer une tension indescriptible par dessus laquelle vient se poser la voix du MC qui rappe comme prêche un pasteur, passant du sermon à la déclaration d’amour, de la critique virulente au message de paix. Entre autres bons moments, on notera le beat labyrinthique de ‘Ricans’ à l’efficacité entêtante sur lequel Oddateee rappe en spanglish, cet anglais remodelé par les latinos des U.S.A. Un des points forts de l’album réside également dans l’interprétation désespérée perceptible sur certains titres (‘Crackrock’) lorsque le maître de cérémonie accentue sa voix rauque rappelant ainsi certaines apparitions d’ODB.
Parallèlement à cela, le message volontairement révolutionnaire et engagé est susceptible de lasser l’auditeur (‘The influence’, ‘Devil runs nation’) d’autant qu’il n’est pas toujours mis idéalement en perspective. En effet, si l’on peut saluer la prise de risques d’Oddatee, l’écoute de certains morceaux demande presque de fournir un véritable effort. C’est le cas de ‘The hood’, piste aux bonnes idées évidentes mais dont on regrettera que la réalisation n’ait pas été davantage soigné et que le MC n’ait pas fait un effort pour être un tant soit peu dans les temps. Cette dernière caractéristique, justement, est à double trachant. Autant elle va confirmer l’aspect bordélique de certains titres, autant elle va parfois servir le propos du disque. C’est le cas sur ‘God Body’ sur lequel Oddateee semble se moquer de tout, y compris d’être dans le rythme.
Finalement, au même titre que la ballade finale mise en scène dans Sur un air d’autoroute, Halfway Homeless nécessitera d’être dans un certain état d’esprit pour être apprécié à sa juste valeur. Si des morceaux auraient surement gagnés à être un peu plus épurés, Oddatee réussit malgré tout à créer une atmosphère rarissime au cours de ces soixante minutes surprenantes.
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