DJ Muggs & GZA
Grandmasters
Evoquer GZA, c’est avant tout réveiller des souvenirs persistants. Ressusciter les heures passées à griffonner le logo du Wu-Tang sur les tables du lycée en disséquant les ramifications infinies de cette constellation d’étoiles. Raviver l’authentique traumatisme provoqué par le monumental « Enter the Wu-Tang (36 Chambers) », point de départ d’une dynastie collective devenue progressivement individuelle. Ces premières échappées solos : « Tical », « Return to the 36 Chambers (Dirty version) », « Only built 4 Cuban Linx… »
« Liquid Swords ». « Liquid Swords », justement, est la suite du confidentiel « Words from the Genius », savant mélange d’asphalte et de ses réalités. S’y entremêlent sagesse et criminalité, discipline et improvisation. Le tout est millésimé 1995, soit en plein âge d’or du combo Shaolin.
Dix années se sont écoulées depuis ce supra-classique (tant pis pour le lieu commun) dont on n’aura jamais fait vraiment le tour, même en courant très vite. Dix années qui auront progressivement éloigné GZA des lumières en dépit d’une multitude d’apparitions et autres collaborations, seul ou accompagné. Un homme de l’ombre sans pensées sombres, même si aujourd’hui l’opéresque ‘When the fat lady sings’ (« Soul Assassins II ») résonne toujours parfois dans les cryptes. L’autoproclamé génie retrouve le grand orchestrateur de Soul Assassins DJ Muggs pour un album commun. « Grandmasters » puisque comme proclamé d’emblée (‘Intro’) l’heure est venue. L’heure est venue de donner une suite à ‘Third world’ (« Soul Assassins chap.1 ») et ‘When the fat lady sings’ (« Soul Assassins II »).
Complètement déconnecté des tendances actuelles Muggs ressuscite ce son des années quatre-vingt dix, ces boucles de pianos chaloupées et violons lancinants, toujours transpirants d’émotion. En dépeignant ces ambiances lugubres comme extraites de pierres tombales, Muggs laisse transparaître peine (‘Exploitation of mistakes’), nostalgie (‘General principles’) et une forme d’enthousiasme pleinement maîtrisée (‘Unstoppable threats’, ‘Queen’s gambit’). L’ensemble, certifié sans conservateur et peu d’additif, flatte plutôt régulièrement l’oreille tout en évitant soigneusement de réinventer la roue.
Maître absolu de l’échiquier musical, GZA place soigneusement ses pièces. Hommage au sale vieux bâtard Russell Jones (‘All in together now’), portrait des quartiers désoeuvrés (‘Destruction of a guard’), d’une époque (‘Unstoppable threats’) ou hymne au Hip-Hop (l’imparable et intemporel single ‘General principles’). Porté par un phrasé unique, reconnaissable entre mille et toujours aussi acéré, GZA laisse régulièrement grimper une adrénaline qui ne redescend que par instants (‘Queen’s gambit’, récit évoquant chacune des trente-deux équipes de la NFL). Figure du rap new-yorkais des années quatre-vingt dix, Gary Grice profite du soutien d’autres soi-disant « has been », Raekwon, RZA et Masta Killa en tête. Il rappelle au passage qu’à la veille de la sortie de « Only built 4 Cuban Linx II » la dynastie des abeilles tueuses n’est pas prête de s’éteindre.
Peu surprenant mais régulièrement jouissif, « Grandmasters » ne marquera indéniablement pas son époque. Il parvient néanmoins à ressusciter brillamment les standards d’une époque révolue, une révolution passée mais pas encore pleinement digérée. Nostalgiques assumés rassurez-vous : les anciens combattants tiennent encore la distance.
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