Chronique

Sheryo
Ghetto Trip

Anfalsh/Virgin - 2001

Essentiellement connu pour un freestyle incendiaire (Maximum boycott) et pour un long clash avec Sadik Asken (Sang d’encre), Sheryo a néanmoins balisé son chemin, en apparaissant ailleurs sous une facette moins tape-à-l’oeil, avant de sortir son premier EP, Ghetto Trip. Introduits par une magnifique intro composée d’extraits de films, les six titres proposés ne font que nourrir le mystère Sheryo, tout en s’inscrivant dans la lignée directe de ce que l’on pouvait connaître de lui auparavant.

Tandis que tout le monde n’attend que le rappeur au tournant, Sheryo assure ses arrières concernant la production des morceaux. Confiées à Hery, Lobo et Dj Laloo, les instrus sont simples, diversifiées et efficace. Même si les plus réussies sont posées et mélancoliques (‘Quand j’galère’, ‘Ghetto trip’), l’ensemble tient parfaitement la route, tout en n’étant évidemment pas le principal intérêt de cet EP. Destinées à épauler un flow unique, le beat est souvent plus marqué que la mélodie, quitte à l’éliminer quasiment complètement (‘En garde !’).

Elément caractéristique du rappeur, son flow est identique à celui qu’il arborait lors de ses improvisations. Or, s’il impressionnait alors par sa fluidité, il déçoit ici par la monotonie que l’on excusait avant, aucune variation ne venant prendre le relais de son débit-fleuve. A l’aise partout, Sheryo offre pourtant rapidement les mêmes effets que l’hypnose : fascinant mais somnifère. Le rapprochement possible avec le flow de Gyneco tourne à l’avantage de ce dernier, la suavité de la forme correspondant à la douceur de ses propos.

Ce constat peut difficilement s’appliquer à l’autoproclamé « champion incontesté comme l’ex-Cassius Clay » : aucun concept ni aucun thème n’étant choisi, Sheryo se contente d’égotisme et de glorification racailleuse tout le long de l’EP, les deux étant intimement liés. Le contenu global renvoie immédiatement au « Mauvais œil » de Lunatic, version mégalomane : éloge du shit et de l’alcool, revendication d’appartenance à un département, apologie de la violence anti-flic, dépréciation permanente des autres rappeurs… Quant aux références mystiques et humbles d’Ali, elles sont remplacées par des bouffées d’orgueil infantiles : « Le style meurtrier te rentre dedans, et le flow te fait perdre tes trente-deux dents, sache que c’est Sheryo dans la ce-dan et qu’il lâche un style sans précédent« . Mais le sens de la formule qui caractérise le groupe du 92 fait cruellement défaut au MC du 93. Incapable d’égaler ses prouesses accomplies en clash, Sheryo s’enfonce à tenter en permanence de se démarquer par la bravade brute (« Certains diront que je suis jaloux, mais je vois pas pourquoi je serais jaloux de leur flow ble-fai et de leur style chelou. Les maisons de prods, je les emmerde, les MCs, je les constipe, tu sais qu’au mic, je suis plus balèze qu’onze types« ).

En effet, si sa franchise peut séduire par moments, elle ne dispose pas de mise en forme la mettant en valeur. Métaphores, jeux de sonorités, structures complexes ? Non, Sheryo mise sur l’authenticité : rimes simples, voire simplistes (« Moi égal 9.3, toi égal je sais pas quoi. Moi, je pisse et je chie sur ton rap en patois, fuck toi, tu pues le putois, je te défonce toi et tous les MCs que tu côtoies« ) vocabulaire terre à terre et ton arrogant. L’humour est laissé de côté, ce qui est dommage pour un tel artilleur : quelques phases légères teintées d’ironie auraient eu plus d’impact que nombre d’insultes proférées.

En marge de ces points faibles, cet EP réserve des satisfactions : les featurings de Prodige et surtout de Casey volent la vedette à Sheryo sur ‘J’élabore (2000)’. Navea ne convaint pas, et l’on regrette l’absence de B. James et d’Ekoué, mais celui intervient en clin d’oeil lors d’un scratch faisant office de refrain. Il faut d’ailleurs noter l’excellente prestation de Dj Demo. Mais le bilan demeure faible : Sheryo, en dépit de son charisme certain, n’emporte pas l’adhésion que sur l’éponyme et touchant ‘Ghetto trip’. Une piste à suivre pour l’album ?

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