Chronique

Kanye West
Get well soon

The Heavy Hitters - 2002

Après avoir taillé cinq joyaux pour Jay-Z dans The Blueprint, Kanye West a intégré le cercle très fermé des producteurs all-stars, qui vendent des instrus à tour de bras pour une clientèle hétéroclite et souvent opportuniste. Le chicagoan, disciple de No ID, a imposé sa griffe en remettant au goût du jour le sample dans la tranche du rap la plus exposée, à une époque où le son synthétique l’avait presque enterré. A l’inverse de son compagnon de route Just Blaze, qui tente désormais d’élargir son panel d’influences, West demeure un fidèle de l’échantillonnage, des samples de voix et des boucles de Soul propres à donner la chair de poule. Celui qui apparaissait à côté de Jay-Z dans ‘The Bounce’ est aussi un rappeur, et c’est ce qu’il nous dévoile dans sa mixtape Kanye West get well soon, annonciatrice d’un album, College Dropout, attendu pour la rentrée chez Roc-A-Fella, bien sûr.

Le CD, fort de 36 titres, offre une présentation exhaustive de la jeune carrière du producteur. On y retrouve bien sûr des extraits de ses meilleurs travaux pour Jay-Z (de ‘This can’t be life’ à ‘Poppin’ Tags’), Beanie Sigel (le grandiose ‘Nothing like it’) et Scarface (‘In cold blood’), mais d’autres, plus méconnues, comme ‘Poppa was a playa’ de Nas (bien avant ‘Takeover’ !), ‘Ghetto’ (Madd Rapper feat. Raekwon et Carl Thomas) ou encore ‘B R right’, incroyable morceau slackness de Trina et Ludacris, qui dénote par son sample de violon hypnotique. De ses réalisations post-Blueprint, en plus de ‘B R right’, on retiendra également la réussite totale de ses collaborations avec Talib Kweli (‘Good to you’), Mos Def (‘2 words’), Twista (‘Show go on’, avec Freeway) et Consequence (‘The good, the bad, the ugly’, sublime avec son sample de Al Green). L’une des qualités les plus évidentes de Kanye West est sa capacité à structurer parfaitement ses enchaînements couplets/refrains, à tel point que son travail d’échantillonnage ressemble parfois à une collaboration virtuelle avec l’artiste samplé. D’ailleurs, on ne s’étonnera pas de voir Chaka Kahn mentionnée en featuring dans le succès-surprise ‘Through the wire’, tant le morceau original (‘Through the fire’) sert de pilier à la prod de West. Certes, on peut lui reprocher de dépasser les bornes, surtout quand il ose s’attaquer à un monument comme ‘We are the champions’ de Queen (‘Champions’). C’est un paradoxe propre aux producteurs : quand le sample garde son mystère, la production en ressort grandit, mais s’il est connu de tous, on crie au plagiat, alors que la technique est la même… Néanmoins, on peut reprocher à West un certain relâchement à force de productivité, notamment dans le choix de kits de batterie qui manquent parfois de relief. Un manque de sérieux assez flagrant dans ‘Champions’, titre fleuve qui réunit Cam’Ron, Twista, Beanie Sigel, Young Chris … et Kanye West himself, avec Damon Dash en monsieur Loyal… « Got damn Kanye ! I bet niggaz didn’t know you could rap huh ? That’s my motherfuckin producer, this the producer on the Roc, he rap better than most rappers ! »

Cette mixtape au titre rassurant – West a réalisé ce projet dans la foulée de son accident de voiture, qu’il évoque d’ailleurs dans ‘Through the wire’ – permet en effet de découvrir le Kanye West rappeur. Cinq productions majeures dans un album considéré pour beaucoup comme un classique, ça donne des ailes, et la dernière recrue du ROC prend un malin plaisir à se la raconter, avec un détachement et une ironie plutôt sympathique. Son parcours de beatmaker désœuvré passé à la postérité, le changement d’attitude de son entourage, sa confiance décuplée et sa volonté de poursuivre sa ruée vers l’or (‘A million freestyle’) sont des thèmes récurrents chez le personnage, qui multiplie les références à ses instrus majeures dans le sixième album de Jigga. Ainsi, le jouissif ‘My way’ est sans doute le titre le plus représentatif du style Kanye West, tant au niveau du thème que de l’instru.

Parfois présenté, un peu à la manière de son complice Talib Kweli, comme un bon compromis entre un rap dit « mainstream » et un rap dit « underground », Kanye West est avant tout un producteur diablement inspiré, inventif et experimenté, qui semble né avec un sampler entre les mains. Derrière le micro, West n’est pas aussi brillant, mais son évident plaisir à rapper sur ses prods, et le regard amusé qu’il porte sur son ascension fulgurante le rendent plutôt attachant. Entre instrus légendaires (‘Never change’),  anecdotiques (‘My life’, de Foxy Brown) et méconnues (‘Got no where’, de State Property), ce mix-CD permettra aux fans de parfaire leur collection, et aux retardataires de découvrir la touche de l’un des producteurs les plus influents de ce début de siècle. A noter la sortie récente de la suite de « …Get well soon » : « I’m good ».

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