Freeway
Free At Last
« Free At Last » fait parti de ces albums qui portent bien leur nom : annoncé depuis plusieurs années, maintes fois repoussé, le deuxième solo de Freeway s’est fait attendre presque 4 ans avant de pointer le bout de son boitier cristal dans nos bacs à disques. Avec un lourd héritage : succéder à « Philadelphia Freeway », l’une des pièces maîtresses de l’âge d’or de Roc-A-Fella, ne sera pas chose facile. D’autant qu’entre temps, son mentor Beanie Sigel est reparti en prison, leur crew State Property s’est disloqué et le départ de Damon Dash a rendu le statut du Roc’ assez flou. Pourtant, le President Carter ne l’a pas oublié ; mieux il sera le producteur exécutif de ce second album aux côtés de… 50 Cent.
Il aura fallu à Freeway un bon break de plusieurs mois pour qu’il enclenche la mise en chantier définitive de son nouvel opus. Celui qui multipliait jadis les apparitions a su se faire discret, et a préféré plancher dans l’ombre, sans doute afin de garder intact l’esprit de sa musique. Point d’influence texane, de featuring d’Akon ou de refrain-gimmick: cet album restera brut, avec pour seule chaleur celle apportée par les longues boucles de Soul, utilisées sur la majorité des morceaux. Et c’est bien là l’atout majeur de « Free At Last » : une production léchée, en parfaite accord avec l’univers et le background de l’auteur. A l’heure où tout le monde se met au même diapason, Freeway a misé sur la continuité et l’intégrité, jouant intelligemment sur ses points forts au lieu de s’aventurer maladroitement dans des univers qui ne lui correspondraient pas.
C’est avec de délicates notes de piano que s’ouvre ‘This Can’t Be Real’, morceau autobiographique entamant cet album de façon appropriée. Dès que la voix aigue et puissante de Freeway se fait entendre, contrastant subtilement avec la mélodie mélancolique en fond, on sent que le MC n’a rien perdu de sa verve et qu’il a toujours le stylo bien affuté. De sa naissance aux succès avec le Roc’, en passant par l’adolescence tourmentée dans les rues de North’ Philly, Leslie Pridgen synthétise parfaitement son parcours en 3 minutes 30, idéal pour se remettre dans le bain. On remarque d’entrée que Freeway se veut plus intimiste, sans doute plus posé depuis son pèlerinage à La Mecque. Tout au long du disque, il se livre par bribe, la rap-star intouchable faisant place à l’homme, vulnérable et chiche devant son destin. La chanson de clôture, ‘I cry’, met particulièrement l’accent sur les faiblesses et les tourments du bonhomme, conscient de n’être que de passage ici bas et de devoir sans cesse lutter pour son salut, ne s’appuyant que sur Dieu pour avancer. La voix samplée de Millie Jackson, gardée en l’état pour le refrain, est du plus bel effet. Remarquable.
Plus terre à terre, ‘Reppin’ The Streets’ met encore en avant les qualités de plume d’un Freeway nostalgique, rendant ici hommage à la rue et aux moments plus durs de sa vie. Si l’apparence a changé, Free’ « keeps it hood », mais surtout survole avec une aisance remarquable le sample des Soul Children. Une pure réussite, qui précède un morceau éponyme très similaire dans sa structure, et donc lui aussi très bon. Sans concession sur ce ‘Free At Last’, Freeway enchaîne les rimes avec une technique déconcertante, écorchant au passage Kanye West, Just Blaze et tous les « niggas with big beards » qui ne valent pas l’original. Là encore, on appréciera la production de Chad West Hamilton, qui s’adapte à merveille aux qualités de flow et d’intonation de Freeway. Et quand on entend un peu plus loin la voix rauque de Scarface glisser si harmonieusement sur la boucle soulful de ‘Baby Don’t Do It’, on se dit que le vétéran Sudiste devrait peut-être utiliser plus de sons de ce type dans ces albums, tant on le sent à l’aise ici.
Et si le sampling reste largement à l’honneur, quelques compositions plus actuelles viennent tout de même doper le tout, à l’image du très dynamique ‘Take It To The Top ‘ et son refrain susurré par 50 Cent. C’est assurément l’un des hits de cet album, dont le côté un peu léger tranche peut-être un peu trop avec l’ensemble pour le rendre indispensable. Dans le genre blockbuster, on lui préfèrera éventuellement le très nerveux ‘It’s Over’ ou le bien-nommé ‘Roc-A-Fella Billionaires’, avec l’incontournable couplet de Jay-Z et son lot de punchlines extravagantes. Rien qu’au travers de ces trois titres, il y avait de quoi mettre en avant cet album et le faire vivre commercialement plusieurs mois… raison de plus pour en vouloir aux personnes en charge de promouvoir le disque.
Parmi tous les invités prestigieux, c’est peut-être celui qu’on attendait le moins (après Rick Ross bien entendu) qui fait, et de loin, la meilleure impression. On retrouve ainsi un Busta Rhymes au meilleur de sa forme sur ‘Walk With Me’, boosté par une production prête à faire osciller machinalement même les têtes les plus guindées. Véritable headbanger comme on savait si bien les faire dans les années 90, ce genre de morceaux aurait sans doute mérité de bénéficier d’une ribambelle de remix (oui oui, ceux avec plus d’une dizaine d’invités de marque) et de truster le top des charts… Mais les temps changent ! Et c’est là peut-être le seul défaut (mineur) de cet album : être sorti en 2007, alors que s’il avait vu le jour plusieurs années auparavant la critique en aurait fait un classique. On pardonnera aussi à Freeway l’atroce ‘Lights Get Low ‘ ou son manque de liant en début d’album, les tracks s’enchainant parfois sans vraiment de cohérence.
On frôle donc l’excellence, avec un disque réussi de bout en bout et dont on sent vraiment qu’il est le fruit d’un long travail réfléchi et passionné. Suite logique de « Philadelphia Freeway », « Free At Last » est peut-être le dernier baroud d’honneur du label de Jay-Z, qui aurait pu vraiment donner à cet album les clés d’une réussite amplement méritée. Au lieu de ça, Freeway passe une nouvelle fois inaperçu – cruelle ironie du sort pour quelqu’un qu’on remarque pourtant au premier coup d’œil. Eclipsé par les autres bonnes sorties de la fin 2007, l’album de Freeway n’aura sans doute jamais la chance de se faire connaître, et ni l’artwork assez pauvre ni l’esthétique très quelconque des clips n’arriveront à attirer le chaland. Vraiment dommage.
Freeway a beau avoir brisé des tas de chaînes, celle qui le relie au (gang) Roc-a-Fella reste intacte, pour le meilleur, mais surtout pour le pire. Après une mini résurrection fini 2007, l’avenir du label semble plus que jamais flou, le départ de Jay-Z de la maison mère Def Jam n’arrangeant en rien les choses. L’avenir du Free’ dépend sûrement des décisions qui se feront en haut de l’échelle, mais peu importe : sur le ter-ter, la vie continue pour Leslie Pridgen. De ce point de vue là, les décevants chiffres de vente, les ratés du label concernant la communication ou les mauvais choix des singles ne comptent plus. La rue ne retient que la sincérité du propos et la qualité de la musique : si seuls ces critères là étaient pris en compte partout ailleurs, alors Freeway serait une star interplanétaire, admirée et respectée de tous. En attendant, il devrait logiquement faire l’unanimité auprès des puristes avec « Free At Last », tant cet album regorge de qualités. Ecriture, instrumentalisation, réalisation : tout est maîtrisé avec brio. Alors que sortent de plus en plus d’albums rasoirs au discours barbant, Freeway lui réussit un sans faute. (Au nez et) à la barbe des autres.
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