Chronique

Homeboy Sandman
First of a Living Breed

Stones Throw Records - 2012

Bien que First of a Living Breed soit le premier album de Homeboy Sandman à sortir chez Stones Throw, celui-ci est loin d’en être à son coup d’essai. Il s’agit en fait de son quatrième album depuis 2007, sans compter plusieurs EP (!). Espérons que cette signature sera l’occasion de le faire connaître d’un plus large public, après la reconnaissance du milieu lui-même, traduite par différentes étiquettes (« Unsigned hype » de The Source en 2008, « Artist to Watch » pour Rolling Stone en 2012…), car l’homme est aussi talentueux que productif. Celui dont l’album culte est le Illadelph Halflife de The Roots propose ici un disque original et varié, qui ne se contente pas d’exploiter une même formule réchauffée. « I’m not the cat talking take it back to the old school / I’m the cat talking take it forward where we supposed to« . Au contraire, cet album semble obéir au principe suivant : ne pas faire deux morceaux qui se ressemblent, à plus forte raison deux morceaux consécutifs.

First of a Living Breed est en effet tout en contre-pied : chaque titre est l’occasion d’un brusque changement de direction par rapport au précédent. L’album débute par un « Rain » en quelque sorte métallique, où le rappeur du Queens impose un flow précis tout en allitérations affûtées, puis ce dernier passe sur « Watchu Want From Me » à un phrasé chanté, au ton nettement plus léger, posé sur une coulée de piano relevée en bout de course de scratches idéalement placés. D’emblée, il révèle ainsi une large palette qui n’est pas sans rappeler celle d’une ancienne recrue du label, Aloe Blacc. Plus loin, Homeboy Sandman enchaîne « 4 Corners », dont les couplets s’accompagnent d’un sample bizarre qui évoque le bruit d’un gribouillage au feutre, avec « For the kids », qui met en boucle un rire d’enfant et installe dans une ambiance joyeuse de dessin animé. Ailleurs, on passe sans transition de l’ambiance quasi acoustique de « Cedar and Sedgwick » (croisement de rues qui fut le berceau hip-hop, puisque s’y déroulèrent les premières block-parties), avec sa guitare et ses percus, à un boom-bap tendu par une ligne de basse nerveuse (« Mine all Mine »). Et c’est comme ça tout au long du disque.

Ces changements d’ambiance permanents caractérisent nettement First of a Living Breed. Ce sont d’abord les productions qui diffèrent (seuls trois beatmakers sur dix signent plus d’un titre). On passe d’une coulée de cordes apaisante à une boucle synthétique inquiétante, d’une couche de castagnettes à une ligne de piano haut perchée, d’une flûte discrète à un sample de vieux jeu vidéo légèrement strident. Mais c’est tout autant l’interprétation de Handboy Sandman qui passe d’un registre à l’autre sans difficulté. Sa voix se fait tantôt douce tantôt grave, ici elle narre tranquillement et là elle interpelle directement, parfois elle est à la limite de la déclamation et parfois au contraire elle étire les syllabes dans un phrasé élastique. Rien à voir, au final, entre le possédé et insistant « Eclipsed », l’intimiste « Not Really » ou le rêche « Sputnik ». Quant au refrain, ce peut être aussi bien un murmure (« Mine all Mine ») qu’un haka (« The Ancient »).

On peut être un peu dérouté par une telle hétérogénéité musicale. Son risque, c’est de perdre l’auditeur en route. Dans ce cas, on appréciera fortement tel morceau, mais sans être accroché par tel autre ; on fera le tri. Mais on peut aussi accepter de jouer le jeu et se laisser embarquer d’un bout à l’autre, sans escale. La durée équilibrée d’un ensemble sans fioritures (46 mn, sans interlude, et un seul invité), l’habileté de la construction et la prestance de Handboy Sandman, d’ailleurs renommé pour être un redoutable lyriciste, amateur de jeu de mots et de métaphores, assurent une cohésion improbable à un album qui slalome entre les normes. Pour un juriste en puissance (il a abandonné ses études de droit pour se consacrer entièrement à la musique), c’était pas gagné d’avance.

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