Chronique

Chief Keef
Finally Rich

Interscope Records - 2012

« Fidèle à son contexte » promettait Flynt quand il décrivait à la loupe le dix-huitième arrondissement parisien. Chief Keef, et par extension son premier album Finally Rich, sont également le miroir d’un contexte. Celui de Chicago, ville déjà pas tout à fait paisible, et plus que jamais gangrenée par le poids des gangs, où la quantité d’homicides a explosé depuis deux ans. La drill music reflète cette violence brute, soudaine et dépouillée. Avec même pas dix-huit balais au compteur, Chief Keef est un des fers de lance de ce courant radical. Et quand ses potes Lil Reese et Lil Durk ont trouvé un beau contrat chez Def Jam, Keef avait déjà intégré la grande maison Interscope. Tout ça en passant par la case prison – ou plutôt résidence surveillée, en s’arrêtant sur la case (nouveau) départ et en prenant plusieurs millions de dollars. Un gros chèque qui justifie un peu plus ce titre éclatant : Finally Rich.

Enfin riche, l’objectif est atteint et annoncé fièrement, les paquets de casseroles qui se bousculent derrière importent peu. Entouré de quelques nouveaux amis, entre poids lourds et pique-assiettes 4XL, l’accomplissement semble un peu plus abouti. Rozay, 50 Cent, Young Jeezy et Wiz participent à la grande sauterie financée par Interscope, sans qu’on sache vraiment à qui profite le crime.

Avec le single le plus percutant de 2012 dans la besace – « Don’t like » – on savait déjà que Chief Keef n’aimait pas grand-chose, et surtout pas les balances. Avec au moins autant de détracteurs que de soutiens, cet album est avant tout un hymne à la gloire de son auteur, une course sans limite vers la flamboyance ultime, jusqu’à flirter parfois avec le ridicule. « Ballin’ » et « Love Sosa » en sont une définition avec, comme dirait l’autre, des textes « à prendre à un degré cinq ».

Derrière ces nuages de fumée et d’illusions, il reste un post-adolescent qui n’est indéniablement pas un grand rappeur. Avec un sens rythmique aussi banal que son timbre de voix et un sac de rimes qui sonne franchement creux. Enfin quand Sosa se met à chantonner, c’est toujours un peu faux, comme un grand chef indien un peu trop imbibé à l’eau de feu. Et pourtant… il y a cet élément inexplicable, assez irrationnel. Entre les gimmicks et les grognements, en suivant un rythme binaire, souvent répétitif, Chief Keef réussit à accaparer l’attention. La spontanéité prend le dessus sur tous les arrangements, sur tous les maquillages plus ou moins sophistiqués. Le minimalisme récurrent de l’architecture musicale fait écho au phrasé brut de Keith Cozart jusqu’à prendre parfois des airs de rites vaudou. Derrière la célébration du sorcier et ses flammes, il y a Young Chop, principal producteur d’un brûlot dont la relative cohérence tient dans l’alchimie trouvée entre ces deux forces obscures. Dans cet océan de noirceur et de nihilisme quasi-punk, on trouve quelques moments moins sombres comme « Hate being sober », gros banger aux relents un peu pop. Et aussi un peu de bricolage, à l’image de « 3 Hunna » ressorti des placards et étoffé d’un couplet de Rick Ross.

Mais Finally Rich est marqué par la violence, celle qui marquait déjà l’avant-album, quand Lil Jojo, rappeur de seize piges, avait passé l’arme à gauche après avoir pris plusieurs balles dans le buffet. Un acte pas tout à fait isolé qui avait fait marrer à gorge déployée Keef, pas forcément mécontent de rayer le nom de celui qui était en pleine embrouille avec son pote Lil Reese. Tout sauf une anecdote. Violence dans la rivalité, violence des gangs jusqu’à l’irrationnel, Finally Rich est inscrit dans ce contexte. C’est aussi un album de nouveau riche déjà condamné. Un testament

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