Chronique

Jay Z
Fade to Black

Paramount - 2005

Il avait tout prévu : les acclamations de la foule dans ‘Encore’, le démarrage en trombe de ‘What more can I say’, « sellin’ out the Garden in a day », dans ‘Dirt off your shoulder’. Jay-Z le savait : c’est sur scène que son Black Album allait donner sa pleine mesure. Alors il a convié une poignée d’amis (lire : le gratin de la jet set hip-hop) à son pot de départ, le 8 novembre 2003 dans un Madison Square Garden archi-comble. Immortalisé sur pellicule et gravé – Dieu merci – sur DVD zone 2, ce show rétrospectif de haut vol se retrouve lié à la genèse du Black Album dans un documentaire passionnant, mi-live, mi-making of, dont Jay-Z est à la fois le réalisateur, le narrateur, et le héros.

Sorti dans les salles américaines en novembre 2004, Fade to Black mêle habilement deux aspects contrastés des derniers grands projets de Shawn Carter : l’intimité du travail en studio lors de l’enregistrement du Black Album, à l’été 2003, et la puissance de la performance scénique au Garden, quelques semaines plus tard. Le film, long d’1h45, laisse la part belle au live mais dévoile surtout une série d’images rares et fascinantes sur les prestigieux protagonistes de cet hypothétique dernier album. Temps forts : les improvisations de Pharrell dans un coin du Baseline Studio, une gueulante homérique de l’ingénieur son Young Guru lors du mastering et – scène magistrale – le dialogue hilarant entre Timbaland et Jay-Z, en escale au studio New Hit Factory pour l’enregistrement de ce qui deviendra ‘Dirt off your shoulder’. Son regard interloqué, presque effrayé, au moment où un Timbo tout sourire lance les premières mesures du morceau demeurera comme l’un des sommets du film. Jubilatoire.

Côté MSG, au cœur du show, le spectacle semble s’être propagé dans chaque recoin de l’antre des Knicks. En coulisses, la caméra croise un Common conquis, une Foxy Brown aux prises avec son bustier capricieux, et un Ghostface en plein troc de quincaillerie avec Slick Rick. Sur scène, avec cet inimitable mélange de détachement et de fermeté, Jay-Z multiplie les couplets légendaires et les surprises de taille, flanqué de l’éternel Memphis Bleek et accompagné par les Illadelphonics, l’orchestre de ?uestlove passé à la postérité dans le fameux MTV Unplugged de 2001. Et puis il y a la foule, entièrement dévouée à la cause de Jay Guevero. Dans ce concert à la dimension sportive évidente, de la présence du speaker Michael Buffer à l’intronisation du basketteur Carter au Hall of Fame, le public new-yorkais apparaît comme un véritable sixième homme : voir 30 000 personnes rapper en cœur (et en rythme !) le premier couplet de ‘Big Pimpin » illustre avec éclat l’incroyable popularité de l’actuel président de Def Jam dans sa ville – chose pas forcément palpable de ce côté de l’Atlantique. Au final, si l’on ne devait regretter qu’une chose de ce concert impeccablement maîtrisé, c’est bien sûr de ne pas avoir été de la fête.

Il y a eu le Black Album, blockbuster intimiste de grande classe, il y aura peut-être le Black Book, biographie co-écrite par la journaliste Dream Hampton, il y a maintenant Fade to Black, déclinaison cinématographique de la mythologie Jay-Z (écriture intérieure, opulence routinière, charisme imparable). Répétée comme un slogan – « From Marcy to Madison Square » – la symbolique du film peut-être vue comme une énième variation sur le rêve américain, mais Fade to Black est surtout un documentaire all access saisissant sur le travail et le rayonnement d’un artiste à part, qui n’en finit plus d’orchestrer son entrée dans la légende. Grand opening, grand closing.

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