The Bo$$ Hog Barbarian$
Every Hog Has Its Day
Le langage est un outil fabuleux, notamment lorsque deux mots a priori similaires dans le sens renvoient à deux conceptions distinctes. Traiter quelqu’un de cochon ou de porc ne revient pas à dire de lui la même chose. S’il est un cochon, il est souillon, salace, quelque peu familier et libidineux, mais sans que cela soit très péjoratif. S’il est un porc, en revanche, il est obscène, dégoûtant au point de donner la nausée, voire insupportable à cause de ses idées. L’anglais fait la même différenciation entre pig et hog, avec le poids de l’histoire et de la culture en plus. Un pig, pour les Black Panthers, était un flic. Par contre, un hog a un côté plus sympathique, notamment à cause du personnage loufoque de The Dukes of Hazzard (Shérif, fais moi peur), Jefferson Davis Hogg, dit « Boss Hogg« .
Donner à son groupe un sobriquet aussi capilotracté que The Bo$$ Hog Barbarian$ est du coup peu anodin. C’est l’histoire de deux rappeurs favoris du milieu underground backpacker qui décident de prendre tout le monde à contre-pied en sortant, en 2006, un album hommage au gangsta/pimp rap de Californie, avec un poil de dérision mais sans caricature. Car J-Zone, rappeur rabelaisien et producteur doué, et Celph Titled, punchlineur versatile et beatmaker sous-estimé, n’ont pas fait dans la pâle copie des albums de Too $hort, E-40 ou C-Bo pour ce Every Hog Has Its Day. A l’image de ‘Spoiled Rotten’ sur le précédent album de Zone (« A Job Ain’t Nuttin But Work »), ils combinent humour potache et ignorant shit, sur des beats funky et pimpish.
Ce qui frappe d’emblée, c’est la cohérence sonore du projet. La volonté du Captain Back$lap et du Rubix Cuban de revenir au son qui a fait le succès du style de la côte ouest des années 90 est totalement respectée. Arrivé à maturité dans le style de production qu’il expérimentait depuis son second album (« $ick Of Bein’ Rich »), et aux commandes de la plupart des instrus de l’album, Zone déroule un style inimitable, barré et un poil psychédélique. Portés par des basses déformées et un patchwork de samples (voix, guitare, claviers), ‘Givva Hog A Bone’, ‘Bitch, That Ain’t Luv!’, ‘Hog Luv’ ou ‘$teady $mobbin » respirent le funk des années 80. Ce n’est que pour les morceaux solo de Celph qu’il sort avec brio de ce style. Les orgues enflammés de ‘Rev. Getright’ sonnent parfaitement avec les prêches de maquereau du rappeur de Tampa, tandis que l’énergie de la guitare électrique de ‘Celph Destruction’ accompagne à merveille la férocité de ses punchlines et assonances.
Mais la véritable surprise de Every Hog Has Its Day, ce sont les prods de Celph Titled. Habituellement plus proche d’un boom-bap crasseux, il produit quatre morceaux suintant le style de la Bay Area ou de Long Beach, qui apportent une alternative complémentaire à ceux de Zone, entre le lent et pesant ‘Dog Show Pageant’, l’électrique ‘Hog Hop’ ou l’outro, digne d’un Battlecat. Seule contribution extérieure, les Beatminerz livrent le beat de ‘Hell No, Ho!’, instru excellent qui malgré son style totalement différent ne fait pas tache dans l’ensemble.
Les deux rappeurs, connus pour leur humour gras et leur sens de la formule, font preuve d’une véritable alchimie tout au long de cet album. Usant du mot préféré en « b » de Too $hort un nombre incalculable de fois, ils adressent aussi bien la gentillesse à leurs critiques (notamment dans ‘Cocksucka’ et ‘Hell No, Ho !), qu’à, évidemment, la gente féminine (comme dans le misogyne ‘Bitch, That Ain’t Luv’). Les punchlines sur les femmes et le sexe fusent tout au long de l’album. On retiendra, au hasard, le délicat « Ain’t talkin’ music when I say I push pipe in the organ » de Celph (‘Rev. Getright’) ou le « I got a tongue like Odie so your girl might know me » de Zone (‘Dog Show Pageant’). Cette profusion de phases de bon goût atteint son paroxysme sur ‘The Weight Debate’, échange entre les deux rappeurs sur leur dégoût ou leur attrait pour les femmes rondes.
Déconcertant à la première écoute, Every Hog Has Its Day pourrait être au rap ce qu’est Don’t Be a Menace to South Central While Drinking Your Juice in the Hood (Spoof Movie en français) aux films de gangs et de hoods. Un pastiche tournant en dérision les codes établis du genre, jusqu’à la pochette, mais sans avoir la prétention de le tourner en ridicule. Loufoque et corrosif, funky et rentre-dedans, l’unique album du duo, boudé par leurs fans, est pourtant une œuvre divertissante, drôle, je-m’en-foutiste et efficace. En somme, fidèle à ses auteurs, quoi qu’on en dise.
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