Chronique

Vast Aire
Dueces Wild

One Records - 2008

Le retour des anciens cannibales, 2008, acte I. Un retour attendu avec une certaine crainte, vu l’ampleur de la déconvenue provoquée par Look Mom… No Hands. D’un autre point de vue, on pouvait être optimiste : à ce niveau de déception, il ne faudrait pas beaucoup d’efforts pour marquer un sursaut… La trentaine à peine sonnée, voici donc notre new-yorkais avec sous le bras un album dont le nom fait référence à une variante de poker dans laquelle les 2 deviennent des jokers. Ajoutons à ça une inversion de lettres destinée à montrer que l’homme a « paid his dues », plus quelques considérations métaphysiques fumeuses sur la dualité de l’être. La question est : Vast Aire bluffe-t-il ?

Répondre sans nuance par l’affirmative serait franchement peu charitable. Mais il faut bien admettre que si Vast Aire a quelques bonnes cartes en poche (à commencer par cette voix curieuse, ni grave ni aiguë, ni douce ni rauque), on ne peut pas dire qu’il ait vraiment le jeu de l’année – et on s’arrêtera là pour la métaphore filée, promis. Si Dueces Wild est plus cohérent et de meilleure facture que son prédécesseur de 2004, on est quand même frustré de ne pas pouvoir se mettre dans les oreilles quelque chose de plus audacieux. D’autant que le rappeur agace d’entrée de jeu en sabotant la production futuriste (en un mot très « coldveinienne ») du nantais Le Parasite sur ‘You Know’, à force de répéter ad nauseam un refrain pas terrible. On croit d’ailleurs remarquer que Vast Aire a à peu près abandonné toute ambition textuelle, pour se spécialiser dans les comparaisons à deux balles. Sans aller jusqu’au grandiose ‘Television, the Drug of the Nation’ des Disposable Heroes of Hiphoprisy, on pouvait attendre mieux que les gentilles allusions qui composent ‘T.V. Land’, même si le morceau est vraiment efficace.

Mais le problème n’est pas tellement là. Il tient bien plus à la relative platitude du climat sonore d’un disque sans vraie surprise ni coup d’éclat. ‘When Starz Fall’, posse cut pas désagréable mais simplement quelconque, en est un bon exemple. Même la production de Pete Rock, qui sur ce coup sort un peu de ses bases avec une prod’ plus froide qu’à l’accoutumée pour accompagner les retrouvailles avec l’ancien compère, laisse un peu sur sa faim : pas un pétard mouillé, mais pas une explosion. Sur ’Give Me That Mic’, la combinaison avec Copyright fonctionne correctement, mais musicalement, aucun intérêt. La prod’ de Oh No (‘Lunchroom Rap’), peu inspiré par son synthétiseur, est probablement la pire. Et il n’est pas sûr que ponctuer ‘The Dynamic Duo’, hommage anecdotique à Batman & Robin (le générique de la série étant – mal – samplé pour l’occasion) et aux super-héros en compagnie de Geechi Suede, par un petit hommage au tube ‘Luchini’ de Camp Lo, soit une bonne idée : le contraste fait encore plus ressortir la mollesse et le fadeur d’une production qu’on dirait taillée pour anesthésier le flow le plus inspiré…

C’est en fait avec Melodious Monk, qui signe cinq productions, que Vast Aire trouve son meilleur équilibre. Monk n’est pas un inventeur, il pourrait parsemer ses instrus de davantage de breaks et de scratchs, mais il ancre solidement son compère dans le béton new-yorkais en l’éloignant de toute influence « SF » avec des petites boucles efficaces (une petite guitare blues par-ci, un petit éclat de voix funk par-là), à l’image d’un ‘Back 2 Basics’ qui porte bien son nom. Et c’est ainsi que la fin de l’album est peut-être sa meilleure partie, avec un Vast Aire armé d’un flow nerveux des plus convaincants sur les deux derniers morceaux, après des passages eux-mêmes assez bien maîtrisés entre penchants introspectifs, élans mystiques et pulsions sexuelles. Car Vast Aire n’est pas le premier venu, et quand il s’y met vraiment, c’est carrément addictif. Il faut écouter ‘Take Two’ (et son sample des bonds de Steve Austin), sur lequel fait merveille son flow faussement nonchalant, parfaitement à contretemps, marquant un léger temps d’arrêt sur la fin de la mesure pour mieux repartir en même temps que le beat. Au final, même en évitant toute comparaison avec The Cold Vein, il s’en faut de beaucoup pour que Dueces Wild casse la baraque. Mais on a quand même affaire à un album plus qu’honnête, qui fait meilleure figure que Look Mom… No Hands et devrait rassasier les amateurs de Vast Aire.

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