Chronique

Flex Mathews & Damu the Fudgemunk
Dreams and Vibrations

Redefinition Records - 2018

Il y a un peu plus de dix ans Y Society sortait Travel at your Own Pace, petite merveille de musique Hip-Hop aérienne et lumineuse. Aux manettes, on découvrait un jeune orfèvre de Washington D.C., Damu the Fudgemunk, qui, accompagné du rappeur Insight, allait signer un album peu médiatisé mais incroyablement attachant. Un avenir aussi radieux que sa musique semblait être promis à Damu. Mais, entre projets instrumentaux pléthoriques, collaborations confidentielles et promesse d’un nouvel opus de Y Society qui n’arriverait jamais, la carrière de Damu allait finir par devenir assez peu lisible. Faisant fi du jeu médiatique et d’une quelconque stratégie commerciale, le garçon semblait n’écouter que son inspiration, quitte à perdre son monde. Indéniablement pourtant, le talent était toujours là, pour quiconque faisait l’effort de suivre. En 2018, la perspective d’un nouvel album en duo est donc enthousiasmante, à défaut d’être excitante comme elle aurait pu l’être au début des années 2010.

Le compère de Damu s’appelle cette fois Flex Mathews, rappeur-beatmaker comptant quelques maxis à son actif et originaire lui aussi de la capitale fédérale des États-Unis. Il s’agit d’emblée de lui rendre justice : Flex est crédité comme coproducteur de tous les morceaux de l’album, sauf des deux dont DJ Spinna a fourni l’instrumental. Voilà un préalable important s’il en est, qui interdit de parler de Dreams and Vibrations comme d’une suite de Travel at Your Own Pace (c’eût été facile de le faire) et d’attribuer les louanges – vendons la mèche – au seul Damu.

Dreams and Vibrations est un album déroutant à plus d’un titre. Un simple regard au chronomètre, déjà : le disque s’étale sur une heure vingt pour quatorze morceaux, dont certains pointent à plus de dix minutes. Clairement, le choix a été fait de ne pas s’encombrer avec des questions de formats. Ensuite, il y a l’importance accordée aux respirations instrumentales, qui occupent parfois les trois quarts d’une plage, comme s’il y avait eu la volonté d’inverser les proportions habituelles des parties rappées – qui n’en demeurent pas moins agréables – et des moments purement musicaux. Enfin, il est difficile de se rappeler d’une œuvre laissant autant de place aux scratches, albums de turntablism mis à part. A une époque où le DJing a disparu de la majeure partie des projets de musique Hip-Hop (et assimilés), voilà un plaisir que l’on ne boudera pas.

D’autant plus que, si les partis pris sont originaux et tranchés, ils sont surtout mis en œuvre à la perfection. Malgré la longueur des pistes, il n’y a pas une seconde superflue dans les morceaux. « Dreaming », final grandiose teinté de mélancolie, s’étend sur un près d’un quart d’heure mais cela semblerait presque trop court. Là comme ailleurs, c’est avec un plaisir non dissimulé qu’on se laisse draper dans les boucles variées et variantes, les scratches foisonnants, les effets sur les voix et les ruptures dans le breakbeat. Il en va de même pour « The Answer is Yes », incursion en territoire californien à grand renfort de vocoder, ou pour le cotonneux « Burners », où l’on retrouve avec plaisir Insight et Blu. Pour le reste, même sur des formats plus courts la science de la mélodie du duo fait la différence : les chœurs déterminés de « Bare Witness », les doux cuivres de « Deadin’ the Weight », les claviers discrets de « We Lunchen », tous promettent de vous happer pour ne plus vous lâcher.

Et s’il fallait trouver des défauts à tout ça ? Il n’y aurait pas à chercher bien loin : l’introduction, sorte de monologue sur instrumental, est dispensable, tout comme l’interlude « As We Continue », construit sur le même principe. Les deux productions de DJ Spinna sont plutôt agréables au demeurant mais manquent d’envergure pour réellement apporter une dimension supplémentaire à l’album. Il s’agit donc là de petits temps faibles, certes, mais qui n’influent que peu sur l’ambiance générale de l’album et son formidable goût de reviens-y.

Dreams and Vibrations est sorti chez Redefinition Records, dont Damu est le cogérant. Homme de goût en toute circonstance, son label compte dans ses rangs J-Zone, Kev Brown, K-Def ou People Under the Stairs. Les passerelles entre l’œuvre de PUTS et Dreams and Vibrations sont d’ailleurs nombreuses. Comme leurs homologues californiens, Flex Mathews et Damu mettent un point d’honneur à diffuser bonne humeur et esprit positif – quitte à faire preuve d’une certaine candeur – à travers des réalisations d’une richesse musicale remarquable. Pour faire voyager l’auditeur à son propre rythme, à l’aide d’un seul casque. Pour le faire rêver et vibrer également, puisque c’est de cela dont il s’agit ici.

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