Chronique

Drake & PartyNextDoor
$ome $exy $ongs 4 U

OVO Sound - 2025

« Une mauvaise publicité est préférable à l’indifférence », dit l’adage populaire. Les départements communication et marketing du monde entier savent pourtant qu’il y a bien une chose pire que la mort et l’oubli dans la gestion d’une carrière : la pitié. Tant qu’il était conscrit à Reddit, TikTok et autres plateformes protofascistes, le « beef » entre Kendrick Lamar et Drake restait probablement gérable pour ce dernier. Après tout, quiconque a survécu à « The Story of Adidon » peut légitimement s’imaginer prêt à affronter toutes les épreuves de la vie. Et pourtant. Même les haters les plus toxiques du rappeur canadien n’avaient pas parié sur l’ampleur irréelle de « Not Like Us », tube de l’été mondial de 2024, matraqué partout des bars de plage du Mexique aux storys des stars de la pop asiatique. À la moquerie succède l’embarras, voire la compassion empoisonnée. L’heure est grave pour l’entreprise Drake, qui voit son action chuter à vive allure. Les sourires des yes-men se figent, les sollicitations commerciales se raréfient. Il importe de réagir, et vite, pour rassurer les investisseurs et éviter le dépôt de bilan.

C’est ce contexte et uniquement celui-ci qui préside à l’existence de $ome $exy $ongs 4 U, dernier album du Canadien. Le plan est bien huilé. La présence de son acolyte et obligé PARTYNEXTDOOR remplit plusieurs fonctions : mobiliser les fans qui fantasmaient sur un album commun, invoquer le « bon vieux temps », celui des débuts d’OVO il y a plus de dix ans, et enfin faire office de bouclier symbolique en cas d’échec commercial et/ou critique de l’album. Musicalement, la partition de PND est conforme à sa production ces dernières années : inepte, réduite à un fond sonore sans relief pour rendez-vous amoureux, le date en question étant ici son patron au cœur brisé. Un cœur brisé qu’on aurait aimé entendre, même entre les lignes, pour que la pitié prenne quelques couleurs. Au lieu de ça, Aubrey Graham use et abuse de la nostalgie de bas-étage. L’interpolation sur « SPIDER-MAN SUPERMAN » de « The Real Her », extrait de son album classique Take Care, aurait pu être émouvante si la tentative de manipulation n’était pas aussi grossière. « MEET YOUR PADRE », passage obligé hispanophone, a des airs de parodie sans âme. « DIE TRYING », qui surfe avec cynisme sur le revival du son Nashville qui domine la pop américaine actuelle, ressemble à une énorme occasion manquée tant Drake est une influence remarquable de cette nouvelle vague country. En lieu et place d’une réappropriation audacieuse, le Canadien se limite à un demi-tube frileux, satisfaisant si on ne l’écoute que d’une oreille. Enfin, « NOKIA », hit imparable s’il en est, doit en grande partie son efficacité au travail du producteur Elkan. Ses lines entêtantes réhaussent l’interprétation d’un Drizzy là aussi en pilotage automatique, et dont l’enthousiasme semble artificiel.

L’un des aspects de la personnalité musicale de Drake généralement éludé par ses détracteurs tient dans son côté « geek », passionné par les nouvelles tendances et les scènes musicales du monde entier. Un éclectisme pop qui lui donnera certains de ses meilleurs albums et ses plus grands tubes. Rien de ça ici : l’album se repose intégralement sur une condensation du « son Drake » en une matière sans forme, une sorte de « Drake ambient » passe-partout. Il est en ce sens éloquent de constater l’absence dans les crédits de Noah « 40 » Shebib, architecte de l’esthétique sonique de l’interprète de « Hotline Bling ». D’ordinaire capable d’humour et de charme dans ses textes, ceux de $ome $exy $ongs 4 U semblent être passés aussi par ce filtre anesthésiant, le rappeur se révélant drôle uniquement par accident : « How many hoes in this club? / Is it really just me, my love? » (« NOKIA »). L’étrangeté émerge sur « GREEDY », ballade synthétique en clôture du disque : « Let’s get high, high, let’s go sci-fi / I’m tryna be out of my mind / You workin’ 9-5, what’s the wi-fi?/ I’ma try and buy you some time, some time ». Des lignes qui font écho à la série à succès Severance, qui met en scène des employés d’une grande entreprise acceptant de dissocier leur personnalité entre le bureau et l’extérieur via une puce dans le cerveau. Pour les personnages, se plier à cette procédure cauchemardequse est un moyen d’échapper quelques heures par jour à des traumas étouffants, en l’échange de la perte de (presque) tout ce qui les rends humains. Dans un article pour le Guardian, le journaliste John Harris dresse un portrait critique de l’influence de Spotify sur la création artistique, dont selon lui « les algorithmes poussent les artistes à produire de la musique sans joie, sans relief. » La faute aux algorithmes, donc. Et à Kendrick Lamar.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*