Boo-Yaa T.R.I.B.E.
Doomsday
Végétariens s’abstenir. Au menu de Doomsday : de la bidoche, de la bidoche, et encore de la bidoche. D’abord parce que physiquement, les membres du groupe californien ne sont pas du genre chétif, plutôt du genre morceaux de barbaque grand format, accessoirement assortis de tatouages aussi fournis que leurs casiers judiciaires — voilà une tribu fraternelle mais qui n’a pas grand-chose à voir avec celle qu’on appelle quête… Ensuite parce que si ce disque avait pu inaugurer un sous-genre, ça aurait été celui du butcher rap. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le nom du groupe (censé reproduire le bruit d’un coup de feu tiré au fusil), comme celui de l’album et jusqu’à celui du label, annoncent clairement la couleur. Le disque compte un nombre de cadavres ahurissant – un par ligne à peu près. À côté de Doomsday, les classiques du gangsta rap font figure de bluettes (les gangsters factices sont d’ailleurs pris pour cible sur « Gangstas Of Industry »). Tout n’est ici qu’artillerie en tout genre, règlements de compte entre gangs, embuscades, vengeances, représailles, sang sur les murs, munitions qui fusent, intestins qui se répandent.
L’album est surmonté – écrasé presque – par le monumental « Death Row California », odyssée sanglante de plus de huit minutes trente dont le déroulement crescendo s’achève dans un déluge de guitares saturées. Cette inspiration rock/métal, qui contribuera dès lors à forger l’identité du groupe, fait suite à la participation de la tribu de Carson à la B.O. Judgment Night, moment-phare de la période « fusion », sortie l’année précédente (le morceau réalisé avec Faith No More s’intitulait « Another Body Murdered » : pas de bouleversement thématique, donc). Le groupe avait débuté sur des bases plus funky, dont on retrouve la trace sur plusieurs morceaux, portés par des lignes de basse bien senties (le laid back « Shoot ’em Down ») ou des riffs passagers (« Mad Samoan », l’un des morceaux les moins convaincants).
Mais « Death Row California », ce summum hors normes dont on se demande pourquoi il n’a pas été choisi comme conclusion (juste derrière, le dernier morceau, « Samoan Mafia », qui reprend le sample utilisé par Above the Law dans « Just Another Execution », paraît assez quelconque en comparaison), n’est pas la seule chose à retenir de cet album funèbre dès le compte à rebours qui rythme son intro. Dans le genre road-trip cinématique, l’excellent « Devil Can’t Have Me » est lui aussi saisissant. Et s’il paraît difficile de qualifier un tel album de varié vu le caractère éminemment bourrin de l’ensemble, reste que musicalement, il explore quand même des voies bien différentes, du hardcore pur et dur (le beat martelé de « Get Gatted On », « House Full Of Gangsters » avec son soupçon ragga, « Tribal Warfare », dont l’ambiance tribale se distingue par une boucle de cuivre sautillante à la DJ Muggs, l’anxiogène « Kill ’em All », avec son cuivre étiré et ses cuts et scratches en arrière-fond) jusqu’aux influences G-Funk (« Put Dat On Something », « Doomsday », paradoxalement l’un des morceaux les plus « cool » du LP), et un son californien plus traditionnel (« Gangstas Of Industry », « Gang Related », le chaloupé « Kreepin’ Through Yo Hood »).
En fait, la construction sonore est assez finement travaillée, souvent enrichie de breaks et de variations, adoucie aussi par des chœurs faussement doucereux tout au long de l’album. Un astucieux interlude (« Janitor ») suggère même que le groupe n’est pas aussi premier degré qu’il en a l’air. Résultat : contre toute attente, quoique très long (plus de soixante-treize minutes !) et comportant quelques baisses de régime, Doomsday peut s’écouter d’une traite et, presque vingt ans plus tard, passe haut la main l’épreuve du temps.
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