Finale & Spier 1200
Develop
C’est fou ce qu’on peut être enfoncé dans ses préjugés. Si on se contente de regarder la pochette bleu pastel de « Develop » par exemple, ça y est, sans prendre une seconde de recul, on laisse parler les réflexes et on se dit : à tous les coups, voilà du boom-bap jazzy sans surprise, un peu dans le genre Strange Fruit Project mais plutôt en moins bien, ou bien encore des rejetons des Lone Catalysts moyennement doués. Alors qu’en réalité, eh bien… c’est exactement à ça qu’on a affaire. Mais alors, pile poil. D’où l’on peut conclure que préjugé n’est pas nécessairement synonyme de connerie ; mais nous touchons là à de périlleuses cimes philosophiques.
Du boom-bap jazzy sans surprise, donc. Autrement dit : plutôt mélodieux, sans aspérités, plein de couplets doux comme des agneaux ; quant aux refrains, je vous dis pas. Et au niveau du rap, malgré une grosse brochette d’invités et une écriture qui semble plus que convenable, le rendu est tout aussi lisse, dénué des phases plus nerveuses dans lesquelles peut s’engager Supastition (comme le ‘Heat’ patronné par Marco Polo l’année dernière – pas l’explorateur vantard, l’autre), ici invité sur ‘The Bigger Picture’. Si on se met à comparer « Develop » à un ou deux disques voisins chroniqués ici quelque part, comme le faux « Future Classic » de Surreal & DJ Balance ou le « Of Gods and Girls » de M. J. Medeiros, il faut dire ce qui est, Finale & Spier 1200 sont défaits. Car « Develop » est sympathique mais soft – un peu trop.
Pourtant, « Develop » est le genre de disque sur lequel on n’a pas envie de taper. Parce que tout ça est quand même gentiment agréable. Parce qu’il faut bien que certains se dévouent pour prolonger un genre qu’on serait bien triste de voir disparaître, avec ses passages rituels, dont le morceau-dédicace (‘Closing Remarks’). Sans parler du fait que tant de daubes sont portées aux nues qu’on serait un peu gêné d’être trop sévère avec ce duo partagé entre Detroit (pour Finale) et le Japon (pour Spier 1200), promis à rester quasi incognito. Une écoute de temps à autre, très bien. Mais il faut reconnaître que c’est typiquement le disque aussi vite oublié qu’écouté. À tel point que même après plusieurs écoutes, il faut retrouver la pochette pour réussir à se souvenir du nom des deux gus. Rien n’accroche vraiment l’oreille, ni du côté des instrus (qui sont même desservis par des beats et des basses assez cheap, dans le genre de ce qui a pu être reproché à 9th Wonder), ni du côté du rap, convenablement torché c’est sûr, mais sans performance mémorable. Ce n’est pas un disque médiocre, c’est simplement un disque honnête et sans relief. Avec l’avantage de l’homogénéité et l’inconvénient de n’avoir aucun morceau qui se détache vraiment du lot, même si certains sont un peu meilleurs que d’autres, et qu’ils l’auraient été davantage sans cette fâcheuse manie de nous faire des refrains à la guimauve (‘The Ring’, entre autres).
Heureusement que les deux derniers morceaux, étiquetés « Bonus tracks », ont été ajoutés. Sans eux, ça aurait fait vraiment juste, et surtout, ils sont probablement les meilleurs de l’album. C’est seulement à ce moment-là, bizarrement – mieux vaut tard que jamais, n’est-ce pas – qu’on a le droit à quelques scratches qui relèvent la sauce. Bref, disons-le tout net, « Develop » est le genre de disque que vous mettrez en musique de fond pour faire plaisir à votre copine qui n’aime pas le rap, mais qui fait des efforts, et vous aussi : la preuve.
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