Chronique

Sage Francis
Dead poet live album

Strange Famous Records - 2004

Une chose est sûre, Sage Francis a le sens de la transition. Ce Dead poet live album n’en est que l’ultime preuve.

« If I don’t know where I come from,
how will I know where to go ? »

Personal journals, son premier album sorti chez Anticon en 2002, témoignait d’une adéquation parfaite entre son rap et les instrus concoctées par la crème des concepteurs sonores affiliés au label : Sixtoo, Alias, Jel, Controller 7, Mayonnaise, Odd Nosdam, Scott Matelic, Mr. Dibbs, etc.. L’annonce d’un album des Non-Prophets – Sage Francis au micro, Joe Beats à la prod – pouvait donc laisser dubitatifs les récents adeptes du MC, qui ignoraient la qualité voire l’existence des deux maxis du groupe. Mais Personal journals contenait un détail de taille leur permettant de garder espoir : le morceau ‘Runaways’.

« I’m an orphan who comes from Providence ; I am a sign from God »

Du seul fait de l’attribution à Joe Beats de la production concluant cet album solo, ‘Runaways’ prenait une valeur symbolique, immortalisant le précieux moment où la page d’une histoire se tourne. Mais au delà de son rôle de relais, cette production brillait par sa sublime simplicité et intronisait naturellement Joe Beats dans la cour des grands. Dès lors, la mission était accomplie et la sortie de « Hope », premier long-format non-prophétique prévu pour 2003 chez Lex, pieusement attendue.

« She’s a fairy with broken wings ; I used to go watch her perform. And if she hears me, I hope she sings songs that had me going right back… »

« Hope » fut à la hauteur des espérances qui l’entouraient, plongeant l’auditeur dans un jouissif revival du début des années 90′. Un titre en particulier, ‘Xaul Zan’s heart’, attirait l’attention : l’instru sonnait pour le moins familière. Plus connue sous le titre ‘Infidelity’, elle était effectivement tirée de « Reverse discourse », la compilation instrumentale de Joe Beats parue quelques mois plus tôt.

« Wickedly twisted incidents. Is it coincidence ? I choose to think so. Deep in thought, my eyes blink slow. Pictures appear like slide shows. My mind knows each and every single detail »

Prolongeant la coïncidence, Sage Francis choisit cette même instru pour introduire le « Dead poet live album », le temps d’un imperceptible clin d’œil adressé à son compère. D’ailleurs, pour qui a suivi un tant soit peu le parcours du rappeur-slammeur, cet enregistrement d’un concert ayant eu lieu à Sacramento en 2003 n’est qu’un enchaînement de clins d’œil, appelant sourires et souvenirs.

« Recollecting your set, and I wasn’t even given the chance to forget – I guess that’s the magic of it »

Retraçant la carrière discographique de Sage Francis, la sélection de cet album-live s’avère éclectique, piochant au hasard des projets officiels (« All word no play » (2000) le second maxi des Non-Prophets, « Personal journals », le EP « Makeshift patriot » (2003)), des compilations officieuses (les trois premiers volumes de la série « Sick of waiting » : « Still sick… urine trouble » (2000), « Sick of waiting tables » (2001), « Sick of waging war » (2002)) et des one-shot peu connus (« Voice mail bomb threat » (1997) avec Art Official Intelligence, le 45 tour « Dr. Feel Nathan » (2003)).

« Forget about him, forget about hymns… What are those psalms that you sing ? What are those songs that are in your head echoing ? »

Pas de DJ pour l’accompagner aux platines, pas de backeurs pour appuyer ses phases, pas de producteur pour lancer des instrus : Sage a confié au groupe Grüvis Malt la responsabilité de transposer scéniquement ses morceaux. A la fois fidèle aux versions originales et capable de réinventer complètement le matériau musical de base, cette combinaison Grüvis Malt/Sage Francis fonctionne à merveille.

« Smoke signals manipulate themselves above me. No symbols are below me enough to overlook. I know you read my every move, I wrote the book »

La qualité d’enregistrement est impeccable en ce qui concerne le micro de Sage Francis et les guitare, saxophone, flûte, clavier, percussions et basse de Grüvis Malt. Le public semble distant, loin de la performance qui a lieu sur scène, si bien que l’on finit par presque oublier sa présence. Dérangeant pour un album-live ? En théorie peut-être, mais en l’occurrence non. D’une part parce que cette relative absence de public plonge l’auditeur dans un mirage sonore de concert privé, impression tout d’abord étonnante puis rapidement très agréable. D’autre part parce que les réactions forcément primaires du public annihileraient la complexité des propos de Sage.

« You can’t just go to the movies and think you got it all figured out because you laughed at the right part »

Sacrément séduisant pour le fan moyen, ce disque est peut-être aussi l’idéal pour découvrir ce maître de cérémonie sous le jour qui le caractérise le mieux : le live. One man show musical ou freestyle théâtral ? Scène de spoken word ou concert de rap ? Difficile de trancher car Sage Francis slalome entre les étiquettes. Meilleur exemple : quand des rappeurs ponctuent leur set de banalités pour combler les blancs entre les morceaux, lui construit un show sans discontinuité, étoffant son répertoire d’anecdotes et de remarques faussement anodines.

« If I don’t know where I come from, how will I know where to go ? It’s not where you’re at, not where you’re from, it’s where you’re going… and I am going home »

Car, une chose est sûre, Sage Francis a le sens de la transition.

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