David Dallas
Falling Into Place
Le premier impair à éviter quand on aborde un album comme Falling Into Place, c’est un certain péché d’exotisme. Celui qui laisserait imaginer que, parce que son auteur est un rappeur du bout du monde, la Nouvelle-Zélande, il ferait forcément une musique extrêmement différente. C’est à la fois vrai et faux, et mérite de faire le tour de la question comme on ferait celui du globe pour effectuer les 18.548 kilomètres qui séparent Paris et Auckland.
Malgré un visage aux airs juvéniles, David Dallas n’est pas un rookie. Au début des années 2000, il se fait remarquer dans le milieu des battles néo-zélandaise, avant d’entamer une aventure de groupe, Frontline (avec le producteur Nick « 41 » Maclaren). Après leur album sorti en 2005, Borrowed Time, le rappeur de Papatoetoe, dans la banlieue sud d’Auckland, part en solo et met de côté son premier pseudo, Con Psy, pour reprendre son vrai nom. Something Awesome (2009), The Rose Tint (2011), puis ce Falling Into Place montrent une évolution qualitative, mais aussi populaire de la musique de David Dallas : son troisième album est ainsi entré numéro 2 des ventes néo-zélandaises à sa sortie, en octobre 2013. Ça ne dit peut-être pas grand-chose comme ça, surtout quand on parle d’un pays de 4 millions d’habitants dont on ne connait presque rien de la scène musicale, à part le récent succès international de Lorde. C’est peut-être un peu plus significatif si on signale que David Dallas est signé chez Duck Down et a invité Freddie Gibbs sur deux de ses albums, dont celui-ci.
Davis Dallas a une voix peu distinctive, et une cadence plutôt monocorde, malgré un vrai sens de la rime (écoutez ses couplets sur « My Mentality »). Cette absence d’aspérités remarquables ne souligne pourtant pas un manque de personnalité, mais donne quelque chose de plutôt fluide et d’accessible dans sa manière de rapper. Sans surenchère ni prétention, David se présente surtout comme un ancien gamin de South Auckland qui a grandi dans un milieu modeste. Il raconte la vie des jeunes galériens des villes néo-zélandaises, qui ressemblent à celles des autres villes du monde, à quelques détails près. Pas de rebiè ou de Olde English pour passer le temps, mais plutôt des « lagers ». Un accent local où le son « ou » ressemble plutôt à un « u » façon banlieue londonienne. Un endroit où on parle du sud d’Auckland comme on parlerait du « 9.3. » ou du « 9.4. » pour désigner, avec une alternance de stéréotypes et de fierté, une zone urbaine où les problèmes sociaux et criminels sont plus importants que dans le cœur de la métropole proche (« Southside »). C’est dans ce coin de mélange culturel (on y croise « kiwis » européens et maoris, immigrés samoans et asiatiques) que David Dallas a grandi et a laissé de côté ses talents de demi d’ouverture au rugby pour écouter du rap (« Follow »). De tout cela, David en garde surtout des aspects positifs. Plus que sur les précédents albums, il y a un côté optimiste dans ses propos, dont on retrouve des déclinaisons dans des titres comme « Running », « My Mentality » (et sa référence au AZ de « Life’s a Bitch ») ou « Transmitting Live ». S’il sait traiter d’autres thèmes – la vanité dans « Local Celeb », la difficulté des départs et des adieux dans « The Gate » – c’est sur le registre de la réussite personnelle que David Dallas s’illustre le plus. On n’est pas non plus dans la motivational music de Young Jeezy (samplé sur « One More »), mais son ambition à la fois accessible et communicative donne le ton à sa musique.
« Falling Into Place est peut-être un album trop humain, celui d’un gars qui rappe comme s’il parlait à ses potes. »
David Dallas a surtout une arme secrète avec lui. Ou plutôt deux : le duo de production Fire & Ice. Deux frangins qui l’accompagnent depuis Something Awesome et avec qui il a bâti une vraie identité sonore. Si son premier album offrait des ambiances cuivrés et soulful (rappelant parfois la grande époque du Roc-A-Fella, variante State Property) et The Rose Tint des nuances plus aériennes, Falling Into Place franchit le pas vers des atmosphères très éthérées. Mais on n’est ni dans l’ivresse des sommets du son O.V.O., ni dans la musique stupéfiante de la moitié du rap américain de l’ère Internet. Il y a une apesanteur presque spirituelle, du genre silence d’une église en hiver, comme sur « The Wire », « Running » ou « The Gate ». À ces mélodies remplies d’écho, les frères Iusitini ajoutent régulièrement un élément récurrent : des voix. Elles sont parfois incarnées (Rokske sur « Gotta Know », Ruby Frost sur « The Wire » et « The Gate »), et souvent samplées : le chant gospel de « Running », les murmures de « My Mentality », les soupirs de « Southside » ou la lamentation ralentie de « Local Celeb » offrent des variantes dans cette juxtaposition entre la froideur des nappes et la chaleur des voix. Leur travail sur Falling Into Place rappelle par moment une rencontre entre les textures du Kanye West époque 808’s & Heartbreak et le mélange de breakbeat et d’instrumentation de My Beautiful Dark Twisted Fantasy – la grandiloquence et l’emphase kanyesque en moins, collant à la simplicité véhiculée par David Dallas. Falling Into Place marque aussi le retour dans les crédits de Nick Maclaren avec « How Long » et « One More », deux titres qui respirent un funk futuriste réactualisé façon Cardo On the Beat, et qui s’intègrent parfaitement dans l’ensemble.
Malgré la qualité de sa musique, David Dallas reste un relatif inconnu ailleurs qu’en Océanie. Falling Into Place est peut-être un album trop humain, celui d’un gars qui rappe comme s’il parlait à ses potes. Quand il veut épancher sa soif de billets, comme sur « My Mentality », il laisse à Freddie Gibbs la flamboyance du hustler. Quand il raconte les rues d’Auckland, il laisse à deux autres rappeurs du cru (Sid Diamond et Mareko) le soin d’en montrer les aspects les plus rudes. C’est peut-être cet excès d’humilité qui fait à la fois le charme et les limites de David Dallas comme artiste, et l’empêche de créer une vague suffisante pour secouer nos propres rives. Reste que Falling Into Place est un album cohérent, original, et à la bande son envoutante. Un album avec les pieds sur terre, mais de l’autre côté du globe. Un album qui fait voyager. Tant pis pour le cliché.
David Dallas - Runnin’
Très bonne chronique sur cet album. Je pense que la fin explique très bien David Dallas: ce n’est pas de la flambe, ce n’est pas de la violence ni rien. C’est un son qui s’écoute posé, et s’apprécie en se laissant porter par l’alchimie entre les instru envoutantes de F&I et le flow de Davi Dallas, certes linéaire mais qui se marie parfaitement. En tout cas je recommande d’écouter ses albums en after party, à refaire le monde dans un salon avec les potes. Ça passe tout seul.