Czarface & MF Doom
Czarface Meets Metal Face
Voilà une confrontation aussi logique qu’improbable. Logique, parce que l’imagerie comics de Czarface évoquait aisément l’univers prisé par MF Doom. Rien de surprenant à voir figurer ce dernier dans la prestigieuse liste d’invités de Every Hero Needs A Villain (2015), deuxième album du trio composé de 7L, Esoteric et Inspectah Deck, sur le morceau « Ka-Bang! ». Mais improbable, parce que ce Czarface Meets Metal Face aurait pu rester une idée sans lendemain, à l’image de l’album commun entre Doom et Ghostface annoncé depuis plusieurs années. L’ex-KMD n’est déjà pas spécialement réputé pour sa fiabilité, mais en plus il a perdu un fils l’année dernière, lui dont la carrière avait déjà connu une rupture douloureuse il y a vingt-cinq ans avec la mort brutale de son frère en 1993. Dans ces conditions, miser sur l’aboutissement de cet album était un pari risqué.
Et pourtant, c’est fait. Et plutôt bien fait. Alors d’accord, pas de quoi se lever la nuit. Ah si, tiens, en fait : pour un morceau, « Bomb Thrown », habilement placé en milieu d’album. Il porte bien son nom, car plus accrocheur tu meurs : sur un sample vocal pitché démoniaquement addictif, surmonté d’une boucle de guitare, les trois rappeurs se révèlent au meilleur de leur forme et le refrain bien senti ne gâche rien. Pour le reste, donc : pas de quoi se lever la nuit. Le style de l’album est prévisible, dans la lignée des précédentes réalisations de Czarface. Malgré une durée plus que raisonnable de moins de quarante-cinq minutes, il aurait gagné à être amputé d’une piste, « MF Czar », qui affaiblit la fin du disque. Et il serait exagéré de dire que les exercices de style, notamment la flopée de références filmico-hip-hop balancée par Inspectah Deck sur « Don’t Spoil it » ou le couplet tout en allitérations en « f » d’Esoteric sur « Phantoms », sont d’une renversante originalité.
Ceci dit, on ne boude pas son plaisir. Sans happer aussi facilement que « Bomb Thrown », bon nombre de morceaux sont fort efficaces, en particulier lorsque les BPM s’élèvent. The Czar-Keys (7L assisté de Jeremy Page et Todd Spadafore) ont du métier pour ce qui est de planter un décor cinématographique, tirant tantôt vers le film d’épouvante (le piano horrifique et la flûte inquiétante de « Badness of Madness »), tantôt le fantastique ou la S.F. (« Nautical Depth »), tantôt le thriller (la basse de l’excellent « Forever People », avec une attaque de couplet à contretemps d’Esoteric). Il sait faire varier les drums, mettre en valeur des basses profondes (« Stun Gun », entre autres), insuffler des ruptures et modulations à des productions plus travaillées qu’il n’y paraît, révélant leurs détails au fur et à mesure des écoutes : bruitages d’arrière-fond, scratches discrets, etc. En témoignent le changement de ton au milieu de « Phantoms », séparé en deux par le refrain de Kendra Morris à partir duquel une nappe de synthé impose sa présence, ou les changements d’instrus qui accompagnent chacun des couplets de « Astral Traveling ». Une version instrumentale du LP est disponible pour mieux saisir ces nuances.
Comme Inspectah Deck, MF Doom et Esoteric ne sont pas franchement des rappeurs de troisième zone, et qu’en plus leurs différences de voix et de styles les rendent très complémentaires, la confrontation tient ses promesses. D’autant qu’ils sont bien épaulés, là encore dans des registres contrastés : pince sans rire pour Open Mike Eagle sur le deuxième couplet de « Phantoms », fracassant pour Vinnie Paz en ouverture de « Astral Traveling », qui terrasse basse, charley et bruitages. Quant aux interludes, ils ont juste la présence qu’il faut pour contribuer à l’ambiance de l’album sans lasser, même s’il n’était pas nécessaire d’en faire des tracks à part pour deux d’entre eux.
Bref, si on aime Czarface et MF Doom, on aurait tort de se priver. Reste une petite énigme : pourquoi diable le couplet de Deck disparaît-il de la seconde version de « Captain Crunch », rebaptisée « Captain Brunch » ?
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