ScHoolboy Q
CrasH Talk
Avec CrasH Talk, ScHoolboy Q traverse, non sans encombres, un carrefour à la fois générationnel et industriel.
La progression est une notion à la fois abstraite et prosaïque. Elle peut se manifester sous des allures naïves comme l’effort à fournir pour monter une simple marche. Ou alors, elle peut être imprégnée d’une touche réflexive comme le concept du dépassement de soi. Dans sa quête pour se réaliser, ScHoolboy trottine à deux vitesses : application et désinvolture. Les contradictions ont toujours survolé ses œuvres, mais cette fois-ci, à désormais trente-deux ans, elles interrogent. Sa position est devenue glissante, pile entre deux eaux. D’un côté, une nouvelle génération prête et faite pour être streamée. De l’autre, une nouvelle génération désormais ancienne, dont trois têtes sont parfaitement identifiées par le grand public – Drake, Kendrick Lamar, J. Cole. Dans cet espace où il est difficile de naviguer, la deuxième star du label Top Dawg Entertainment semble encore hésiter.
Lancés pour assurer la promotion de CrasH Talk, les deux singles choisis, dans l’ordre, « Numb Numb Juice » puis « CHopstix », sont désarmants. Dans un premier temps, le meilleur de l’univers du rappeur de Hoover est condensé en moins de deux minutes. Excentricité, originalité, agressivité. Une prouesse et une mise en garde pour tous les détracteurs non avertis de sa singularité. Les deux couplets sont jonchés de structures rythmiques imprévisibles. Le travail d’écriture est millimétré. L’interprétation mûrie, avec un grill à sa bouche parfaitement ajusté pour distordre et écourter la prononciation des voyelles. Dans ses hauteurs, Q est le seul dans une catégorie poids lourds bien à lui. Avec un but précis, étirer la créativité sans arrêt pour trouver de nouvelles formules et surprendre un auditeur de plus en plus passif dans le royaume de la mélodie.
Ce désir de vouloir bien faire, mieux faire, comme pour ne jamais stagner, est balayé en compagnie de Travis Scott. Dans un schéma des plus simplistes (“Chopsticks, chopsticks, chopsticks” / “I love them chopsticks, chopsticks, chopsticks”), ce second single ressemble plus à une résignation. La sensation d’accomplir un devoir obligatoire, mais dans le fond, pas si nécessaire. Le désaccord, le doute, le questionnement, planent à travers tout un tracklisting appropriable sous la forme d’une thèse et antithèse. “Drunk” et “Lies” s’opposent dans la forme. Deux noms clinquants pour potentiellement séduire une démographie plus large, 6LACK et Ty Dolla $ign, mais les points de convergence s’arrêtent ici. “Drunk” est construit sur une boucle de piano et une caisse claire résonnante pour appuyer le côté introspectif. Kid Cudi pour souffler la mélancolie. Et les confidences sont presque pénibles. De manière intelligente, la futilité d’un billet est comparée à la fragilité d’une vie, et ses petits détails laissent apparaître un esprit encore marqué par une existence de l’autre côté de la légalité (“Even when the money come, gone way too fast” / “Why my grandma couldn’t live ? Gone way too fast” / “Cousin murdered in the field, gone way too fast” / “Got a liver full of ‘yac, weed in the back”). De son côté, “Lies” est plus lisse, plus facilement digérable, et Ty$ se retrouve sans surprise à l’endroit le plus convenu : au refrain.
“5200” et “Black Folk” se heurtent. Le premier, produit par Sounwave et !llmind en très grande forme, fait briller l’insouciance. Un mantra : “Fuck all you hoes”. Si les deux compositeurs étaient déjà présents sur la bande originale de Black Panthers avec le titre “X” composé pour le même ScHoolboy Q, et qui par la même occasion, garde quelques similitudes (une mélodie avec des airs de flûte, toujours compressés mais cette fois-ci ralentis), toute l’élégance de Q réside dans sa manière de se mettre en scène (“Diamond on me, jumpin’ on me” / “You lil’ boys can’t match milli’ on me” / “10K fit, put Groovy on fleek” / “D-boy fresh since school ’03”). Un Hoover Crips sophistiqué. Drive-by en Ferrari minimum. De son côté, “Black Folk” complète et interroge son premier sur les agissements (“Fast life, got the rock, mane, it’s a ball game”), les clichés (“Cop chain, get a Benzo, it’s a black thang”), les choix prédestinés à une communauté plus souvent coincée dans la réalité que ses rêves (“With dreaming but lost the feeling, we stopped believing in”).
“Floating” et “Dangerous” se touchent dangereusement. L’un joue sur les poncifs de la vie de rappeur. Les aspects addictifs au sens propre comme figuré de la vie de ses nouvelles rockstars. L’autre, avec une fois de plus une prestation remarquée de l’homme sur la lune, Kid Cudi, met en garde. Dans ce deuxième volet, le rappeur des 52 Hoover est plus à l’aise. Une difficulté à se raconter au-delà du trauma, comme l’atteste “Tales” ou encore “Attention”, un des titres les plus captivants de son troisième opus, mais surtout, un des plus sombres avec des mesures émouvantes sur sa première vie avant d’être nominé aux Grammy :
“Let me tell you ’bout this story, when Quincy died, it had started
I left jail on house arrest and now ever since I’ve been starvin’
You know pain on my mama’s face when the opps can call me a loser
Ain’t achieve shit, her son quit sports to become a Crip’
Nother single mother that failed, lost her son in the mix
Workin’ hard through all her problems, her son just couldn’t be fixed”
Cet entre-deux perpétuel est certainement un des points noirs d’un album pourtant parsemé de quelques merveilles. Comme une bombe à retardement programmée dans une industrie aux exigences loin des siennes. Indécis sur sa future destination. De la route à prendre pour la suite. D’où la nécessité de taper dans une balle de golf pour se vider l’esprit (“Nigga gotta hit the golf course to get a peace of mind”). Et ironie, sur ce même titre, “CrasH”, la voix de Mac Miller retentit en fond pour doubler des mots de la plus haute importance : “I gotta find my way (My way)”. Trouver son chemin car par moments, Quincy Matthew Hanley donne l’impression de ne pas être à sa place dans les cadres proposés. Déprimé à rapper ses plus beaux couplets dans ses pires souvenirs. À devoir laisser son explosivité pour reprendre un ton monotone et se remémorer ses souvenirs. Sur « Tales » et « Attention » l’image est palpable. Des mémoires constamment attirées par l’obscurité. Le poids d’une gravité inévitable déjà ressentie sur chacun de ses opus. Après trois albums en major, ce n’est peut-être pas un hasard si aucune de ses pochettes n’a encore révélé son visage. Plus à l’aise derrière un ski mask, une cagoule ou encore la tête dans un sac en carton pour faire face à sa notoriété. La difficulté d’être soi. Pleinement. Son seul obstacle à la progression.
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