Chronique

Chance the Rapper
Acid Rap

2013

Au début du mois de juillet, le New York Times pointait encore du doigt la violence à Chicago. La faute à un nouveau bain de sang post-fête nationale. Le genre d’évènement qui rappelle pourquoi Chi-town est devenu Chiraq, où le rouge sang a éclipsé depuis belle lurette le rouge des Bulls. Les cornes sont rentrées mais le printemps artistique de Chicago ne cesse de se prolonger et les jeunes pousses bourgeonnent sans discontinuer. Et si la drill music de Chief Keef et King Louie a beaucoup accaparé les esprits, d’autres échos, bien différents, ont su se faire entendre. Notamment la soul trap de Tree et la douce folie de l’inclassable Chance The Rapper. Un jeune illuminé sorti du néant après un gros carton rouge. Viré pendant dix jours de son lycée, il en profitait pour sortir sa première mixtape, justement intitulée 10 Day. Un premier essai brut et bordélique mais qui affirmait un personnage insaisissable. Si Acid Rap, son successeur, marque une nouvelle étape, il dépasse largement les attentes ou la simple confirmation.

À peine vingt ans au compteur, Chance transpire toujours la spontanéité et l’insouciance. Il rime et pousse la chansonnette avec une touche de pop aigre-douce et la gouaille d’un jongleur de diabolo ambiancé à l’absinthe. Régulièrement en descente d’acide, il semble toujours les yeux rougis et le sourire aux lèvres. Comme habité d’une douce folie qui rappelle par instants le Fatlip de Bizarre Ride II the Pharcyde. À moitié habité, à moitié conscient, il fait la part belle à la spontanéité, flirtant avec le hors-piste. Quand il chantonne plein de légèreté, c’est aussi avec la conscience que tout reste éphémère. Et le souvenir de Rodney Kyles Jr, un de ses meilleurs potes, poignardé à mort sous ses yeux.

Ponctué de multiples références aux cadors du genre, Chano fait partie de cette génération biberonnée à College Dropout. Une référence absolue et revendiquée qui ressurgit plus ou moins régulièrement. Si l’introduction et la conclusion sont empruntées à Kanye, le couplet de Twista sur « Cocoa Butter Kisses » paraît, lui, faire écho à « Slow Jamz » (College Dropout). Porté par de multiples variations de rythme et quelques élans soulful à souhait – notamment le grandiose « That’s Love » – il lorgne également sur d’autres classiques. À l’image de « NaNa » qui ressuscite la boucle de « Sucka Nigga » (A Tribe Called Quest) dans une version épileptique où Bronsolino joue le rôle du meilleur pote au bord de la rupture.

Acid Rap a beau être assez bordélique, il a une vraie cohérence d’ensemble et des partenaires de jeu bien inscrits dans un univers hallucinogène digne de Very Bad Trip. Avec un parrain du calibre de Twista – en pleine démonstration sur « Cocoa Butter Kisses » – et des valeurs sûres comme Ab-Soul et Action Bronson, la joyeuse sauterie a fière allure. Appuyé par Cam de J.U.S.T.I.C.E League, Jake One et le méconnu – mais brillant – Nate Fox, Acid Rap sent la moiteur acidulée, la fin de soirée trop arrosée et l’euphorie délirante. Deux-trois coups de ripolinage auraient probablement pu parfaire et affiner l’ensemble. Mais sa sincérité vaut plus que tous les ajustements millimétrés. Il reste brillant et (car ?) imparfait.

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