JayLib
Champion Sound
Ne parlez pas de hasard ni même d’un opportuniste arrangement de maisons de disques, la réunion de J Dilla et Madlib autour d’un projet commun, Champion Sound, s’inscrit dans d’autres sphères. A mi-chemin entre conte idyllique à la sauce Oxnard et authentique fantasme urbain pour un (maigre) public averti et conquis d’avance, cette collaboration constitue en réalité le résultat d’une longue histoire débutée en 1995 sous le soleil californien. De passage à Los Angeles pour, notamment, produire plusieurs morceaux de Labcabincalifornia, le nouvel album de The Pharcyde, Jay Dee fait alors brièvement la connaissance de Peanut Butter Wolf et Madlib. Stones Throw n’est encore qu’un obscur projet et ses futures têtes pensantes d’anonymes accrocs aux vinyles.
Cette rencontre marque PB Wolf qui, tombé sous le charme des compositions hypnotiques du producteur de Detroit, réalise quelques remixes de ses morceaux, sortant même un disque distribué uniquement au Japon. Passé un certain nombre d’amabilités échangées par magazines interposés et plusieurs années supplémentaires au compteur, J-Rocc l’authentique Beatjunkie et maestro des platines a un jour la bonne idée de prêter à Madlib une collection d’instrumentaux de Jay Dee. L’ex-résident permanent du Bomb Shelter plonge alors pleinement dans un univers sonore incroyablement proche de ses propres inspirations. Ces ressemblances s’avèrent si frappantes que le loopdigga assure que la première fois qu’il entendit un beat de Dilla, il eut l’étrange impression d’entendre un de ses morceaux. D’habitude réticent à poser sa voix sur d’autres productions que les siennes, Madlib enregistre plusieurs titres sur des beats de Jay Dee.
La légende (urbaine) raconte enfin que ces titres atterrissent miraculeusement sur Internet et attirent l’attention d’un Dilla particulièrement enthousiaste. Fini les chassés croisés et autres collaborations à distance, les deux ayatollahs de la MPC 2000 et SP 1200 décident de s’atteler à la production d’un album commun qu’ils nomment Champion Sound.
Une fois le mystère entourant cette collaboration éclairci, Champion Sound tourne enfin sur les platines et dévoile au fur et à mesure des écoutes toute sa richesse. Loin d’être seulement un vaste et épais nuage de fumée toxique, il oscille entre la chaleur moite d’un strip club rythmé par booty shake et lap dance (‘McNasty Filth’, ‘Strip Club’), l’efficacité toute jouissive du banger ‘The Red’ ou la violence d’un ‘Survival Test’ rappelant les atmosphères étouffantes et sanglantes de combats de boxe thaï. Difficile de ne pas citer aussi le planant ‘Starz’ et sa boucle savamment pitchée ou encore l’hypnotique ‘React’ rythmé par une improbable boucle qu’on imagine bien empruntée à un fakir sous codéine.
En piochant dans une multitude de registres musicaux plus ou moins inattendus, house, fox trot, musique traditionnelle brésilienne ou indonésienne, jazz ou broken beat, J Dilla et Madlib composent une mosaïque détonante, parfois grésillante, électrique et éclectique. Si quelques ratés tendent à plomber quelque peu l’ensemble, nos deux stakhanovistes emportent largement l’adhésion, se partageant mutuellement les compositions les plus réussies de cet album.
Brillant dans l’agencement des nappes et l’utilisation du sampler, le Beat Conductor et Dilla ne sont par contre définitivement pas aussi habiles micro en main. La partie emceeing s’avère donc, sans surprise, nettement moins inoubliable. Mais l’intérêt est ailleurs et aussi hallucinogènes soient-elles, les énormes quantités d’herbes consommées par nos deux compères n’entretiennent sur ce coup aucune illusion. Kweli, Frank-N-Dank et Percee P viennent bien soutenir Madlib et J Dilla dans leur office mais seul le persévérant inspecteur de la rime réussit à relever les compteurs sur l’impeccable ‘The Exclusive’.
Au final, sans véritablement réinventer la roue ni contribuer à la fabrication du pneu Goodrich, Champion Sound vaut par ses indéniables coups d’éclats, rapprochant un peu plus deux ermites utilisant la musique comme un terrain d’entente et d’expression.
Pas de commentaire