Chronique

Glue
Catch as Catch Can

Fat Beats - 2006

Glue, ou l’histoire de trois gus avec des gueules bizarres, qui se demandaient s’ils tiendraient le coup, et qui sont bien contents d’y être arrivé. Soit, côté musical, le producteur chicagoan Maker, affilié à la bande Galapagos 4, et DJ DQ, membre à part entière du trio : non seulement il venge en un disque le dépérissement du turntablism, mais il signe les quatre interludes (sans l’aide d’un sampler, tient-il à préciser), tous réussis, à l’instar du mélancolique ‘State of the World’. Ce beau monde accompagne Adeem, un rappeur du genre introspectif qui en a gros sur la patate. Comme il va mieux, ce dernier s’ouvre au monde et à son triste état (l’album s’ouvre sur : « The class difference is making us all crazy / The gifted fall back while the rich stay lazy… »). Mis bout à bout, ça donne « Catch as Catch Can ». C’est-à-dire un bien bel album, livré dans un emballage marron dont l’objectif est visiblement de feinter son monde sur le style de ce qui est rangé dedans.

Loin de se cantonner à égayer les interludes, DJ DQ est d’une omniprésence réjouissante. Que ce soit au début des morceaux (les premières secondes de ‘Catch as…’, entrée en matière véloce qui affirme d’emblée le flow dynamique d’Adeem), pendant les refrains (‘Hometown Anthem’, ‘Making A Mess’), pour terminer en beauté (‘A Lot To Say’, en forme de course contre la montre, ‘A Fly Can’t Bird’, ‘Glupies’), ou tout bonnement en plein milieu, sa participation ne se résume pas à l’apport d’une petite « touche » ; elle fait partie intégrante du son de l’album et sublime plusieurs morceaux. Sans lui, ils perdraient beaucoup de leur charme.

Ce qui ne veut pas dire que Maker démérite, bien au contraire. Il échafaude des instrumentaux inventifs, d’une richesse qui évite le tape-à-l’oeil. Avec un grand sens rythmique, il les larde de détails, de variations (à l’instar des évolutions du bien nommé ‘Beat, Beat, Beat’), d’effets, d’inserts vocaux. Quand ses compositions sont relevées par des instruments joués, c’est encore meilleur. La trompette n’est pas pour rien dans la qualité de ‘Hometown Anthem’ (et son riff de guitare) et ‘Never Really Know’ (et son piano jazz), irréprochables. On passe de tonalités électriques et rugueuses à des ambiances plus soyeuses, entre cuivres et samples de voix soul, avec une grande fluidité. Un second disque, instrumental, met en relief la qualité du boulot effectué.

Adeem se pose là dessus avec une énergie jamais démentie. (Est-ce pour ça que, à en juger par la pochette, le groupe semble avoir choisi le cheval comme animal fétiche ?) L’avantage, c’est qu’on ne s’emmerde pas pendant les refrains (‘Making A Mess’) et même qu’on ne s’emmerde pas tout court (‘Glupies’, qui revisite le thème inépuisable de la succube). Jamais aussi efficace que lorsqu’il rappe vite, il fait aussi montre d’un certain talent pour, sinon faire pleurer dans les chaumières, au moins jouer sur la corde dramatique. Sur le remarquable ‘Vessel’, il découvre qu’il est en réalité un robot (qu’est-ce qu’il faut pas faire pour illustrer le thème de l’identité aliénée…) : un début calme, d’où sourd une vague inquiétude, explose en guitares saturées… avant de s’achever en reprenant la boucle initiale, identique et pourtant différente.

Si on tenait vraiment à faire la fine bouche, ne serait-ce que pour le principe, on dirait peut-être trois choses. Premièrement, qu’un ou deux morceaux sont un cran en dessous du reste (‘Belmont and Clark’, un peu mou). Deuxièmement, qu’un invité au micro bien choisi n’aurait pas été de trop, histoire de perturber le monopole d’Adeem, aggravé par le fait que sa voix est souvent doublée en écho. Troisièmement, qu’un découpage à la hache a rendu la fin de plusieurs morceaux anormalement brutale. Défauts mineurs, étant donné la qualité d’ensemble de « Catch as Catch Can ». Allez, ne rechignez pas : passez à la caisse.

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