La Coka Nostra
A Brand You Can Trust
« This is a movement; a real movement, La Coka Nostra. You motherfuckers talk like you a movement but none of you are moving »
A bien des égards, La Coka Nostra a des allures de machine de guerre, de groupe rap underground ultime. Tout d’abord, un roster impressionnant, véritable dream-team du rap white trash, avec le pionnier (Everlast), la valeur montante (Slaine) et la figure majeure du genre (Ill Bill). Ensuite des tactiques de marketing parfaitement calibrées, avec notamment une imagerie susceptible de toucher un public plus large que les seuls amateurs de rap, et des affiliations très claires avec la scène rap-métal. Enfin, une omniprésence sur le web et sur les scènes depuis trois ans (date de la création du crew), avec une montée en puissance et en présence progressive jusqu’à la date de sortie de l’album. Les morceaux sortis jusqu’ici ayant tous été excellents, on pouvait parler de sans-faute. Encore fallait-il transformer l’essai. Le revers de la médaille d’un plan aussi parfaitement calibré existe bien évidemment : si les espoirs sont déçus, plus lourde sera la chute. A Brand You can trust prend ainsi déjà des allures de tournant dans la carrière de bonhommes en ayant pourtant vu d’autres.
A Brand You Can Trust est un bon album, convient-il de préciser d’emblée. Mais on ne peut s’empêcher de penser qu’il aurait pu être encore bien meilleur. En effet, les morceaux que l’on connaissait déjà (‘Choose your Side’, ‘That’s Coke’, ‘I’m an American’, ‘Fuck Tony Montana’) sont plusieurs crans au-dessus de ceux que l’on n’avait pas encore entendus. Le reste du disque semble même quelque peu avoir été brodé autour de ces moments-clés : y ont été ajoutés les incontournables saillies rap-rock (‘Bloody Sunday’, ‘Get You by’, ‘Gun in your Mouth’), la ballade permettant à Everlast de pousser la chansonnette (‘The Stain’), ou encore l’instant G-rap (‘Bang Bang’, avec Snoop Dogg). L’idée est de brasser large, on pouvait très clairement s’y attendre. Toutefois, comme souvent, cette volonté et la mise en place d’une réelle identité de production s’avèrent incompatibles. Au terme de l’écoute, impossible de déterminer quelle est l’essence sonore de La Coka Nostra. Si le crew touchait à tous les registres avec brio, cela ne poserait bien sûr pas de problèmes. Mais ce n’est pas le cas : certains titres sont un peu légers (‘Once upon a Time’, ‘Cousin of Death’, ‘Hardcore Chemical’), faute d’instrus suffisamment solides pour apparaître sur un album qui se veut majeur. La majorité du beatmaking avait pourtant été confiée au même homme, DJ Lethal (ex-House of Pain), qui devait être en surrégime sur ‘That’s Coke’ et ‘Fuck Tony Montana’. Au final donc, ce sont Alchemist et l’excellent Danois Sicknature qui tirent leurs épingles du jeu, respectivement auteurs des prods de ‘Choose your Side’ et ‘I’m an American’.
Côté emceeing, inévitablement, on joue dans la cour des très grands. Ill Bill a enfin retrouvé son meilleur niveau et lâché sa voix « cancer de la gorge ». Certains de ses couplets (‘Gun in your Mouth’, ‘I’m an American’) renvoient à sa meilleure époque, et son entrée sur ‘Fuck Tony Montana’ provoque toujours des frissons, même à la 500ème écoute. Slaine confirme tout le bien qu’on pense de lui, évoluant dans un registre un peu moins bourrin et renfrogné que ses collègues. Reste Everlast. Le vétéran n’est pas vraiment à la hauteur des autres intervenants, ce qu’on veut bien lui pardonner pour services rendus et pour ‘Jump around’ en particulier. La demi-douzaine de refrains chantés en revanche, ça passe moins bien. ‘The Stain’ aurait largement suffi, pour le reste on aurait préféré des scratchs. Les trois MCs de LCN se rejoignent dans leurs registres : les passages violentissimes empreints de paranoïa alternent avec des moments de conscience sociale. C’est très courant dans le rap, mais ça a rarement paru plus paradoxal qu’ici, venant de garçons paraissant finalement loin d’être cons si l’on se fie à leurs interviews. Côté invités, le casting est impressionnant (Snoop Dogg, Bun B, B-Real, Sick Jacken, Immortal Technique, etc.), mais le minimum syndical est de mise. Hormis celle de Sick Jacken, peut-être plus impliqué dans le projet que les autres, pas de prestation franchement marquante.
Avec le recul, on se rend donc compte que la promotion de A Brand You Can Trust a été parfaite, trop parfaite même. LCN a fait valoir ses atouts les uns après les autres, à tel point qu’une fois l’album sorti il ne restait plus grand chose à faire valoir qu’on ne connaissait pas déjà. Reste l’essentiel : A Brand You Can Trust est un album solide, proposant un tiers de morceaux de très haut niveau, une petite dizaine de titres allant du médiocre à l’assez bon, et quelques temps morts inévitables. Le emceeing est au point. Il suffira de convaincre Everlast de garder ses vocalises pour ses albums de blues, et on tutoiera la perfection. En revanche, côté productions, des efforts sont à faire. On peut regretter que certains beatmakers proches du crew (Evidence, DJ Muggs ou encore DJ Premier) n’aient pas été sollicités. Ce manque de densité sonore aurait été excusable pour un groupe, mais pour un « mouvement », ça fait un peu tache…
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