Kohndo
Blind test
« Pourquoi devons-nous systématiquement justifier nos choix et donner un sens à nos décisions ? Pourquoi dans le rap plus qu’ailleurs le contenu se doit d’être explicite ? N’y a-t-il pas plus de plaisir à pressentir, apercevoir, puis se voir révéler une œuvre qu’à l’assimiler instantanément ? (…) Loin d’être un testament, ce disque est l’expression de ce que j’ai été et voulu entreprendre : comprendre le monde pour mieux y vivre. Ce disque est la passerelle faisant le lien entre les différents projets qui jalonnent ma carrière de « La Cliqua » à aujourd’hui. »
C’est par ces quelques lignes introductives que Kohndo défend son parcours et ses envies, dans le livret de ce Blind Test. 1997 – 2003 : de son départ de La Cliqua à la réalisation d’un album brillant en solo. Le temps pour Kohndo de poser les bases de son style, de planter quelques banderilles en freestyle et d’imposer son empreinte vocale sur maxis, jusqu’à l’accomplissement de Tout est écrit. Ceci n’est pas un testament, pas un best of non plus. En fait, il s’agit d’un format qui se rapproche de ces multitudes de street-cd voués depuis quelques mois à remplacer pour de bon les mixtapes devenues désuètes. Mais un seul coup d’œil à la pochette suffit à se convaincre qu’il n’est pas ici question de verser dans l’amateurisme tape-à-l’œil : un design simple et soigné qui laisse parler l’efficacité sans fioritures inutiles. Le contenu est du même ordre, en proposant notamment de réécouter les prestations délivrées sur les très bons maxis Jungle Boogie et J’entends les sirènes, agrémentés de quelques titres plus ou moins rares ou inédits.
Là où la force du premier album tenait particulièrement dans l’homogénéité et l’atmosphère dégagée, ce Blind Test réjouit au contraire par son éclectisme. L’occasion pour ceux qui ne connaîtraient Kohndo que depuis son premier opus de découvrir un rappeur à la palette impressionnante, maniant avec aisance une large diversité de styles. Des morceaux comme ‘Juste une pause’ et ‘Jungle Boogie’ privilégient ainsi le groove et un feeling arrosé d’esprit funk, tandis que ‘Lève-le mic’, ‘J’entends les sirènes’ ou ‘Sauvage’ rappellent avec force l’époque d’un Kohndo dynamique et exalté, posant sur des sons bounce qu’il a souvent délaissé depuis au bénéfice d’ambiances plus jazz. Les morceaux plus récents, tels que ‘Mes kohndoléances’ ou ‘Du frère à l’adversaire’, donnent à l’inverse l’occasion d’observer l’évolution du phrasé de KOH vers plus de fluidité, sur des instrus qui mettent volontiers en avant la mélodie. Ce genre de titres, qui n’auraient pas dépareillé au sein de Tout est écrit, ont cependant tout l’air de chutes de studios et n’atteignent pas le niveau des meilleurs moments de l’album. On apprécie en revanche la bonne idée d’avoir glissé dans le tracklisting les premières versions de ‘Amour et peine’ et de ‘La partition’, respectivement orchestrées avec talent par Ol’ Tenzano et Logilo. Bien que ne correspondant pas à l’ambiance souhaitée pour l’album, ces versions soutiennent tout à fait la comparaison avec les morceaux définitifs – eux-même excellents – et témoignent de la capacité de Kohndo à s’adapter et à modifier son phrasé en fonction de l’instru.
Parmi les autres inédits, ‘Un œil sur l’objectif’ sort du lot, même s’il date déjà de 1997, et constitue une excellente surprise. Certains morceaux se révèlent en revanche moins convaincants (‘Les étoiles meurent aussi’ ou le medley ‘Ma définition’) ou bien restent anecdotiques (‘Mon nom en autographe’). C’est dans ces moments là qu’on se met à regretter certains choix de la sélection, et qu’on aurait préféré entendre à nouveau la fraîcheur des premiers morceaux réalisés à l’époque de La Cliqua. Un clin d’œil au Coup d’État Phonique aurait par exemple été le bienvenu, tandis que l’énergie d’un ‘Mike branché’ (sur la compilation Le vrai hip-hop d’Arsenal Records) aurait sans doute fait plus d’effet que le poussif ‘Survivre’, qui se contente d’en reprendre les grandes lignes avec moins de succès. Surtout, on s’étonne de l’impasse sur ‘Kohndo vs Doc Odnok’, réalisé pour le maxi J’entends les sirènes en 2001. Ce titre symbolique – qui marquait l’ultime retour au micro d’un Doc Odnok braillard et énergique à souhait face à la maîtrise technique impeccable du Kohndo nouveau – aurait été parfait pour prendre la mesure du chemin parcouru au cours de toutes les années résumées par ce Blind Test.
Au final, on se trouve en présence d’un disque indispensable pour tous les amateurs de KOH qui ne connaissaient aucun de ses maxis jusqu’à présent ; toutefois, la qualité hétérogène des morceaux présentés comme inédits ne suffira pas à contenter ses plus fervents adeptes, qui resteront quelque peu sur leur faim. S’il fallait ne trouver qu’un seul intérêt à ce disque, ce serait certainement celui de démontrer que Kohndo reste l’un des rares protagonistes du milieu des années 90 – l’époque glorieuse d’un rap français en effervescence – à pouvoir encore surprendre aujourd’hui et proposer des projets intéressants. Peut-être parce qu’il fut l’un des moins exposé au sein de La Cliqua. Peut-être parce qu’il a pris soin de mûrir son style à l’ombre des projecteurs. Peut-être, et surtout, parce qu’il a cherché et insisté pour se construire une véritable identité, sans se contenter de déchirer en dilettante les quelques micros qui se présentaient. Ne reste plus qu’à attendre de la part de Kohndo une nouvelle livraison de bon son : ce sera chose faite avec un deuxième album d’ores et déjà annoncé. De quoi entretenir la dynamique et l’évolution constante d’un rappeur envers qui le niveau d’exigence grandit à chaque nouvelle sortie.
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