Big K.R.I.T
Returnof4eva
Au volant de sa Cadillac, Big K.R.I.T. a un boulevard devant lui. Sur la carte des scènes régionales du vieux sud, le Mississippi est l’une des moins exposées. Malgré un excellent Grey Skies, le groupe Crooked Lettaz reste une légende limitée aux purs amateurs du son sudiste moite et poisseux. Tout juste a-t-il permis à l’un de ses membres, David Banner, de devenir le représentant de cet État à l’échelle nationale et internationale. Une icône dont le rapprochement avec K.R.I.T. est inévitable. La présence de Banner sur l’album est un symbole à peine dissimulé de ce passage de témoin entre deux générations. Car comme son aîné, K.R.I.T. est un artiste polyvalent, rappeur, producteur, self-made man.
C’est à la fée Internet que Justin Scott doit l’exposition qu’il a aujourd’hui. Il le sait et le lui rend bien. Après avoir sorti l’an dernier son premier album officiel en format numérique, le plébiscité K.R.I.T. Wuz Here, il offre un deuxième opus gratuit, Returnof4eva, disponible sur son site web. Le rookie fraîchement signé sur Def Jam le sait : il faut savoir soigner sa base de fan et attirer de nouveaux auditeurs. Surtout, la gratuité du projet lui permet de faire la musique qu’il aime : gorgée de bonnes vieilles boucles chaudes et organiques, soulful ou bluesy. Et ce sans problème de droits.
Car Big K.R.I.T. est à sa façon le chaînon manquant entre une tradition musicale des années 90 de players et maquereaux (UGK, Dungeon Family, Geto Boys) et l’esthétisme plus underground et éthéré des CunninLynguists. La pochette de l’album est explicite : K.R.I.T. cherche l’équilibre entre son fétichisme des grosses cylindrées pour flamber et des disques poussiéreux à sampler. Ce choix artistique se ressent particulièrement dans son rap : K.R.I.T. se présente comme un type normal, pétri de cette mythologie propre au sud (le quinté « filles-bagnoles-église-musique-famillle »). Egotrip, introspection, commentaire social, récit de vadrouilles en Chevrolet : il enchaîne les morceaux avec ce même accent tenace du sud et son flow tout-terrain soigné (rapide sur l’entêtant « Shake It », chuchoté sur le rédempteur « Free My Soul »). Le premier single de l’album, « Dreamin' », pourrait être un autoportrait parfait de K.R.I.T. : il reste ce gamin qui a été bercé par les albums de Rap-A-Lot et Suave House, et qui rêve de rapper comme ses aînés. Du coup, même si son style simple (loin de l’exubérance de Pimp C, de la complexité de Andre 3000 ou de la profondeur de Scarface) s’avère plaisant, il manque à K.R.I.T. un poil de charisme et de caractère pour s’affirmer comme un rappeur brillant.
S’il est un artiste remarquable, c’est surtout pour ses talents de producteur complet. Sa polyvalence lui permet de passer d’un country rap tunes savoureux (« R4 Theme Song », « My Sub », « Sookie Now », « Shake It », « Time Machine ») à des ambiances east coast typique des années 90 (« Another N.I.G.G.E.R. », « Rise and Shine »), et même de régénérer une atmosphère (osons le néologisme) atlienesque sur « Dreamin' », « American Rapstar » ou »King’s Blues ». Son talent de beatmaker s’exprime amplement dans son recyclage de samples familiers, mais ciselés de manière originale, rappelant parfois la touche de DJ Paul de Three 6 Mafia. Sans être immédiatement reconnaissables, Roy Ayers, Barry White, Grover Washington Jr., Billy Paul ou encore The Floaters sont repris assez intelligemment pour que l’on remarque sa créativité dans son travail d’échantillonnage.
Point fort et défaut à la fois, Returnof4eva est un album équilibré et homogène. Là où Wuz Here brillait par sa variété, entre survoltages bondissants (« Country Shit ») et passages plus intimistes (« They Got Us »), la première écoute de ce deuxième opus laisse un sentiment moins fort que celle de son prédécesseur. L’apparition en bonus du remix de « Country Shit » (avec Ludacris et Bun B) révèle un manque de coups d’éclat, même si les titres plus énergiques ne font pas non plus défauts (le synthétique « My Sub », le cuivré « Sookie Now », l’explosif « Shake It »). Sans doute la tracklist aurait gagné à être allégée (un titre comme « Amtrak » a du mal à retenir l’attention), mais une forte identité ressort de l’ensemble passée plusieurs écoutes.
Malgré sa signature sur Def Jam (est-ce encore une valeur sûre ?) et sa présence dans la liste des Freshmen 2011 du magazine XXL (l’a-t-elle déjà été ?), Big K.R.I.T. ne sera probablement pas la nouvelle star du rap de demain. Il n’a ni l’audace d’un Lil B, ni l’attrait pop d’un Wiz Khalifa. Mais au fond, K.R.I.T ne semble pas en avoir l’ambition. A la manière de certains rappeurs qui ont continué à porter, au cours de la décennie passée, le style de l’âge d’or de la côte est, il continuera à sortir des projets à l’esthétique sudiste nostalgique assumée. De bonnes sorties, et c’est bien l’essentiel.
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